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des frais d’administration, qui du reste sont réglés avec une stricte économie. Les doux villages renferment tous les édifices publics nécessaires à la défense, au culte religieux, à l’éducation et au gouvernement du pays. Deux petits forts convenablement armés protègent les abords du cap Palmas.

Telle est cette petite, mais fort intéressante colonie, qui s’élève à côté de l’état plus puissant de Libéria. Depuis 1832, époque de sa fondation, elle a justifié les espérances des amis de l’humanité par la sagesse et l’énergie de ses citoyens. Il est à remarquer que l’établissement de Maryland-in-Libéria n’a entraîné que des dépenses extrêmement modérées, grâce à la haute intelligence et à l’esprit pratique du comité d’administration de Baltimore. Les comptes de gestion font foi que de 1831 à 1850, en dix-neuf années, il n’a été déboursé que 285,964 dollars 43 cents (soit en argent de France 1,500,000 fr. environ, à 5 fr. 25 cent, le dollar), et encore faut-il déduire une somme de 300,000 fr. provenant des bénéfices faits par la société dans le commerce de la côte d’Afrique et appliquée à l’œuvre. C’est donc en réalité 1,200,000 fr. que l’on a dû demander tant à l’état du Maryland qu’aux souscriptions particulières, et c’est avec ces faibles ressources qu’on a transporté, logé et établi convenablement huit cents personnes, qu’on a préparé l’établissement d’un beaucoup plus grand nombre, et qu’on a répandu la double lumière du christianisme et de la civilisation sur des peuplades entières, croupissant jusqu’ici dans la misère et l’ignorance, et vouées aux coutumes les plus barbares, à commencer par le trafic des esclaves. Il n’y a pas en vérité assez d’éloges pour les hommes qui ont obtenu de pareils résultats avec d’aussi faibles ressources.


IV.

Que conclure des dispositions de la race noire, telle que nous venons de l’observer, à Cuba, aux États-Unis et à Libéria? Le régime de la discipline impitoyable est contraire, on l’a vu, aux intérêts des propriétaires d’esclaves aussi bien qu’affligeant pour l’humanité. Le système de protection sévère, mais bienveillante, exercé aux États-Unis, a le double avantage de se concilier tout à la fois avec les exigences d’une philanthropie éclairée et celles d’une sage économie politique. Enfin le régime d’indépendance combiné avec une salutaire intervention de l’enseignement religieux est consacré aujourd’hui à Libéria par des résultats de plus en plus satisfaisans.

La France et l’Angleterre n’ont plus à se préoccuper du système espagnol, ni même du système des Américains du nord, qui s’appliquent l’un et l’autre au travail servile : c’est à des noirs émancipés qu’elles ont affaire. Il reste à choisir, pour elles, entre la conduite que tiennent les Américains du nord vis-à-vis des noirs libres sur leur propre territoire, ou les doctrines de charité, de discipline religieuse qui ont servi de base aux deux établissemens de Libéria. Entre ces deux directions, c’est la seconde surtout qui nous paraît convenir au caractère des populations coloniales de l’Angleterre et de la France. Seulement il y a dans les possessions des deux pays diverses mesures à prendre pour assurer une pleine efficacité à l’œuvre de moralisation qui est devenue le complément indispensable de l’affranchissement.

L’expérience de l’émancipation a été, il faut le dire, ruineuse pour la