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et, d’autre part, les tentatives diverses, les efforts de système et de talent pour innover à tout prix, soit par l’adoption de sujets nationaux, soit par l’emprunt plus ou moins déguisé, plus ou moins craintif de cette forte tragédie anglaise, sortie tout armée des troubles du moyen-âge et de la vaste imagination, du naturel inculte et tout-puissant d’un homme. De Chateaubrun, si froid et si infidèle copiste du théâtre d’Athènes, à La Harpe, qui ose tranquillement ce qu’avait craint et convoité Racine, traduire dans sa forme antique, dans sa poésie première un drame de Sophocle, la distance est grande, quoique la différence des talens poétiques ne soit pas très marquée. Évidemment une révolution déjà s’est faite dans les esprits : elle accueillerait l’originalité, si on la voyait poindre quelque part ; mais cette originalité, refusée à tant d’efforts que tentaient de toutes parts des hommes de savoir et de talent, ne tiendra ni au fond des sujets, ni au genre, ni à la forme.

Oui, s’il y a veine de poésie tragique dans la seconde moitié du dernier siècle, elle jaillira tout entière du fond particulier d’un homme éloquent sans être inventeur, d’un génie solitaire et qu’on disait un peu bizarre, nourri pieusement de la Bible en plein XVIIIe siècle, croyant et pratiquant au milieu des philosophes, dévot sous la constituante et républicain sous l’empire, portant sur soi, nous l’avons souvent remarqué, dans l’expression de son majestueux visage, de grands traits de mélancolie et de gravité, du reste encadrant indifféremment Sophocle ou Shakspeare dans les formes de drame et les bienséances de langage usitées en France jusque-là, n’affectant rien de singulier, pompeux comme Voltaire, avec moins d’élégance ; mais abondant de cœur, répandant à pleine source tous les sentimens de la nature émue, et dans le moule antique jetant, jusqu’à déborder, un pathétique à lui.

La contemplation du long travail et des maladies de langueur de la tragédie française sous les mains diverses qui voulaient la ranimer, de sa renaissance enfin, de ses retours d’énergie sous Ducis, sera sans doute une étude curieuse qui reporte la pensée vers ce problème d’un âge privilégié pour la poésie, et cependant de plusieurs renouvellemens possibles de la tragédie d’Athènes et de la tragédie d’Alexandrie, du théâtre espagnol, qui n’eut qu’un siècle et est tombé avec la puissance et l’enthousiasme du peuple dont il était la voix fanatique et guerrière ; du théâtre anglais, qui, depuis deux siècles et demi et depuis un homme unique, semble être tombé sans retour au milieu des autres grandeurs croissantes de sa nation ; du théâtre allemand, qui, venu tard, tel qu’un fruit d’été renouvelé avec art dans l’arrière-saison n’a vécu cependant qu’un ou deux âges d’homme, comme s’il s’agissait de cette fleur de l’aloès qui s’épanouit une fois par siècle, et ne reparaît plus sur la même tige.

Ducis cependant, Lemercier, Raynouard, dans quelques momens