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feuilleter ses brouillons, et jusqu’aux notes impatientes ou moqueuses crayonnées de sa main sur ses livres, pieusement recueillis par Catherine II, et dont. M, de Maistie seul nous avait assez dédaigneusement esquissé le catalogue.

Bien plus étendue que toutes les notices académiques, la vie de Voltaire devait comprendre une assez grande part des affaires diplomatiques du temps, auxquelles, du dedans et au dehors, Voltaire fut plus mêlé qu’on ne l’a dit, quelquefois par influence avouée et publique, et plus souvent par ingérence active, crédit confidentiel et ambition de négociateur volontaire, croyant à tort que de médiocres services d’homme d’état valent mieux qu’une gloire indépendante de penseur et d’écrivain. Quoi qu’il en soit, bien des choses préparaient le nouveau biographe à la tâche difficile de peindre exactement un tel homme, et par contre-coup une telle époque. Descendu de l’ancien monde et initié au monde d’il y a quelques années, familier avec les affaires et les littératures de l’Europe, attentif et sagace sous des formes de conversation légère, petit-fils d’un ministre de Louis XVI, et plusieurs, fois délégué plénipotentiaire du dernier roi, M. de Saint-Priest, précisément parce qu’il croyait aux lettres plus qu’à toute chose au monde, était singulièrement, approprié à cette œuvre historique et anecdotique dont il avait le loisir et le goût. Malheureusement une mort prématurée, douloureuse pour l’Académie et pour une grande part de la société, l’a frappé, loin de sa patrie, au lieu même où il cherchait en passant l’instruction et le repos, et il laisse à demi commencé ce que nul autre n’est préparé à continuer avec les mêmes, avantages d’étude intelligente et d’affinité naturelle. Que cette tâche reste donc long-temps délaissée, en souvenir et en regret du talent auquel il n’a pas été permis de l’achever !

Mais, à part ce nom de Voltaire que nous voyons attirer et comprendre toute une partie de l’histoire du temps, il y a, dans la série qui commence, à 1772, et rappelle nécessairement des noms et des travaux antérieurs, un sujet déjà bien vaste de biographie morale et d’analyse littéraire. La décadence de l’art sur certains points et en même temps le progrès des esprits, cela présente à soi seul un curieux problème dont chaque récit particulier, chaque biographie exacte et impartiale formerait une pièce instructive.

Là, dirons-nous, à part la tragédie prestigieuse et passagère de Voltaire, il y a toute une grande étude de décadence à suivre dans ses vicissitudes. Là se rencontrent en effet, dans Lagrange-Chancel, dans Chateaubrun, dans Debelloy, dans Saurin, dans Pompigrian, dans La Harpe, dans Ducis, dans Chénier d’une part, tous les signes d’épuisement de cette forme sublime qu’avait reçue la tragédie parmi nous, la monotonie, la langueur, la fausse imitation de l’antique et du classique,