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savantes, par les plus violentes vicissitudes, supprimée par voie de fait législative, et bientôt après couverte du sang de quelques-uns de ses membres les plus honorés ou les plus célèbres, Malesherbes, Bailly, Condorcet, Chamfort. Il lui est arrivé comme à ces peuples heureux du Midi dont les annales semblent avoir été tout à coup interrompues par l’envahissement des Barbares, et qui ont cessé d’écrire leur histoire à l’époque où elle devenait tragique et grande.

De 1772 à 1791, il est vrai, l’usage des réceptions publiques, toujours maintenu par l’Académie française, suppléait à son histoire et en consacrait du moins les principaux souvenirs, à peu près comme les panégyriques d’un prince ou les adresses de félicitations qu’il reçoit font connaître quelques événemens de son règne ; mais, dans les années qui suivirent, cet usage cessa par la dispersion de l’Académie, et pendant un temps il n’eût pas paru tolérable au sentiment public, quand même la tyrannie l’eût permis.

De 1792 jusqu’en 1803, où, après les essais législatifs de brumaire et de germinal an IV, fut organisé l’Institut par le maître nouveau qui savait tout et faisait tout, bien des noms célèbres, retranchés par la mort, n’avaient pas eu de place dernière dans le recueil interrompu de l’Académie. Il a paru que c’était un devoir sacré de suppléer à ce silence, témoignage d’un vandalisme qu’on ne peut trop flétrir. Déjà l’Académie l’a fait en partie.

De vingt membres morts dans l’intervalle de 1793 à 1803, plusieurs, l’abbé Barthélémy, Bailly, Malesherbes, Marmontel, Vicq d’Azir, le duc de Nivernais, Florian, ont été l’objet de discours publics que la distance des temps et le choix libre des orateurs ont rapprochés de l’éloge historique et placés naturellement à la suite des portraits impartiaux qu’avait laissés d’Alembert.

Nous indiquons cette date mémorable de 1803, parce que, malgré le calcul dictatorial qui s’y mêla, elle eut véritablement le caractère d’une grande réparation envers les lettres.

Tout en écartant le nom des sciences morales et politiques, précaution de fâcheux augure au début d’un règne, le décret consulaire portait le nombre des académies de trois à quatre, et, dans un cercle qui, plus restreint pour les objets d’étude, était plus étendu pour les personnes, il maintenait les droits acquis et réhabilitait les droits méconnus. — Ce fut l’heureuse fortune et en même temps l’habile pensée du jeune conquérant. Marquant par une plus solennelle installation de l’Institut le rétablissement de l’ordre civil en France, il eut soin de ne laisser dans cette œuvre de paix intérieure et d’activité savante aucune trace de rigueur personnelle, aucun souvenir des troubles, aucune vengeance des luttes auxquelles succédait son pouvoir. Il s’empressa de rétablir dans les classes de l’Institut, et spécialement dans