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moral sauvegardé, et au fond un avantage réel pour les deux pays dans la garantie réciproque de la propriété littéraire, il y a aussi, pour la France comme pour la Belgique, dans la loi nouvelle, des occasions d’épreuve à soutenir honorablement. C’est ainsi qu’une question tranchée en soulève d’autres immédiatement ; mais celles-ci sont l’affaire du zèle, de l’activité, des efforts individuels. L’essentiel est que ces efforts puissent se produire sous l’empire d’une loi morale et équitable pour tous. Dans tous les cas, si la librairie française fléchit dans la carrière nouvelle qui lui est ouverte, ce n’est point l’intelligente et décisive protection du gouvernement qui lui aura manqué sur un des points les plus importans.

La Turquie vient d’avoir une nouvelle crise ministérielle ; ce n’est pas moins que la troisième de l’année, décidément les pays constitutionnels ne sont pas les seuls où l’on ait à se plaindre de l’instabilité des cabinets. À la vérité, les changemens qui ont eu lieu depuis quelques mois au sein du cabinet ottoman portent moins sur le fond des choses que sur les personnes. Le grand-vizir est tombé à plusieurs reprises, quelques-uns des ministres d’état ont disparu avec lui ; mais le système est resté le même, du moins en ce qui regarde les principes généraux de réforme dont la Turquie ne peut plus s’écarter. Il n’existe aujourd’hui dans l’empire ottoman que deux partis : — celui qui, ne voulant point se rendre compte de la situation de la race turque vis-à-vis des peuples chrétiens conquis par elle et vis-à-vis de l’Europe civilisée, persiste à tous risques dans les vieux erremens de l’orgueil musulman, — et celui qui, ayant reconnu à propos que l’empire ne peut se rasseoir sans se régénérer, a courageusement entrepris le renouvellement de ses institutions décrépites. Le parti qui s’obstine à regarder la tradition comme une loi inviolable n’est plus aujourd’hui très nombreux à Constantinople. Éloigné depuis long-temps des hautes fonctions et n’offrant plus d’appât à l’ambition de la génération nouvelle, il ne se compose plus que de vieillards incapables de rendre quelque autorité aux opinions qu’ils représentent ; il ne fait point de recrues et ne peut guère espérer de se rajeunir. Le bon sens et la force des choses conduisent tous les hommes de quelque mérite dans le parti opposé. Enfin c’est dans les rangs de ce parti que le jeune sultan est habitué aujourd’hui à prendre ses conseillers.

En Turquie, la signification politique de tout cabinet réside dans le choix du grand-vizir, qui est en quelque sorte le vicaire de l’empire, le cardinal secrétaire d’état du chef de la société civile et religieuse. Or le nouveau visir Ali-Pacha, ministre des affaires extérieures dans le dernier cabinet, était regardé, après Rechid-Pacha, comme le personnage le plus éminent du parti de la réforme. Fuad-Effendi, qui remplace Ali-Pacha aux affaires étrangères, était lui-même conseiller du grand-vizir avec les fonctions de ministre de l’intérieur. C’est un esprit fin et libéral, bien connu en Europe par diverses missions remplies avec bonheur dans les principautés du Danube pendant l’occupation russe, à Saint-Pétersbourg à l’occasion de l’affaire des réfugiés hongrois, et plus récemment en Égypte, au sujet des démêlés du sultan avec le pacha.

Si le ministère n’a pas changé d’esprit, dira-t-on, pourquoi alors un changement de personnes ? Constantinople, en essayant de se former aux mœurs occidentales, n’a pas cessé tout-à-fait d’être un pays très propice au mystère ;