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qui en résultera ; le gouvernement est le meilleur juge des limites où il doit pousser la conciliation. Ce qui nous est bien permis, c’est de signaler le fait à M. Proudhon comme une démonstration de plus de sa thèse récente, comme un symptôme nouveau du progrès de la révolution sociale. L’auteur des Contradictions ne craignait qu’une chose, c’était que le socialisme donnât trop de popularité au gouvernement ; en voici la preuve palpable !

Au milieu de ces incidens lointains ou plus voisins de nous, le gouvernement a eu à s’occuper d’une question d’un bien autre genre et à la conclure. On se souvient qu’une loi a été votée dans la dernière session pour autoriser la concession du chemin de fer de Bordeaux à Cette. Cette concession vient d’avoir lieu, sauf ratification du corps législatif. Elle porte non-seulement sur la ligne principale qui doit unir les deux mers, mais elle comprend encore deux embranchemens : l’un de Narbonne à Perpignan, l’autre de Bordeaux à Bayonne. Une même compagnie concentre dans sa main ces grands travaux : c’est donc un acheminement de plus vers l’exécution de nos voies de fer. La France va tout à l’heure être enveloppée dans ce vaste réseau. Le rail-way de Bayonne a d’autant plus d’importance, si on le rapproche des travaux du même genre entrepris aujourd’hui en Espagne, notamment de la ligne qui doit se diriger sur Irun, et dont une portion est déjà concédée. Ce n’est pas même en Espagne seulement que la passion des chemins de fer se propage : le Portugal vient d’accorder le privilège d’une ligne allant de Lisbonne à la frontière espagnole, de telle sorte que, d’ici à peu d’années, l’Europe va être sillonnée dans tous les sens. Du nord au midi, de Vienne ou de Merlin à Cadix et à Lisbonne, la vapeur aura en quelque sorte supprimé l’espace. Quels changemens cette foudroyante rapidité de communication introduira-t-elle dans les mœurs des peuples, dans leur caractère, dans les conditions de leur vie intérieure ou internationale ? C’est le mystère de l’avenir, non-seulement pour la France, mais pour la civilisation européenne ; c’est le problème que vient de nouveau poser chaque œuvre nouvelle de ce genre qui commence ou qui s’achève.

Telle est du reste la nature complexe de notre pays que les intérêts les plus divers, les plus opposés, si l’on veut, peuvent trouver place à la fois dans ses préoccupations. La souplesse de notre génie national ne serait point au-dessous de cette tâche multiple sans tant de causes sociales et morales faites pour en comprimer souvent l’essor. L’ardeur du travail matériel ne saurait ou ne devrait pas du moins tarir la source des émotions intellectuelles. Voici long-temps déjà que notre esprit lutte avec des chances inégales pour concilier ces deux intérêts, pour faire marcher de front l’industrie et les choses du goût. À travers les alternatives de cette lutte, nous n’en sommes point encore heureusement à oublier, pour une concession de chemin de fer, ce qui peut offrir quelque attrait littéraire. L’Académie française, se réunissait l’autre jour solennellement. Ce n’était point une de ces réceptions éclatantes, attendues, où le public semble un troisième interlocuteur appelé pour animer la scène. C’était le couronnement annuel des lauréats académiques, la fête des prix, si l’on nous passe ce terme d’école. Prix de l’éloquence historique, qu’aucun ouvrage nouveau n’est venu ravir encore aux vigoureux récits de M. Augustin Thierry ; prix de l’éloquence oratoire, obtenu par un discours sur Bernardin de