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cette main, dût-elle y apercevoir la trace lointaine du sang de ses coreligionnaires. Elle a lu Plutarque, et elle devine Corneille. La réminiscence cornélienne est évidente dans ce personnage. On sent que M. Augier s’est ressouvenu des tragi-comédies héroïques de l’auteur de Don Sanche ; il a en même temps songé aux pièces de cape et d’épée du vieux théâtre, et ces préoccupations différentes expliquent les hésitations, les incohérences, le manque absolu d’homogénéité qui se révèle dans toute sa pièce.

Le père de Diane lui a légué en mourant une mission austère, et sainte : il l’a chargée de veiller sur son jeune frère, qui n’a plus au monde d’autre appui que sa tendresse. Elle s’est consacrée tout entière à cette tâche, et elle y a puisé une force nouvelle. Virile par l’intelligence et le courage, mais restée femme par le cœur, Diane, dans ce rôle de soeur-mère, ne sera peut-être pas toujours invulnérable. Peut-être ressentira-t-elle les tressaillemens et les souffrances d’une autre passion que l’amour fraternel. Ce que l’on peut prévoir du moins, c’est qu’entre son amour et son devoir elle n’hésitera jamais ; c’est que, prête à tous les sacrifices, fidèle à cet idéal de patriotisme et d’honneur qu’elle s’est formé, elle fera constamment passer son frère avant elle-même, son pays avant son frère. Nous le répétons, ce caractère a de la grandeur ; il y a loin de là à cette femme de corps belle et de cœur difforme de M. Hugo. Il semble qu’on va sortir enfin des Marion et des Tisbé, des Lesbie et des Laïs, pour rentrer dans des régions honnêtes et pures, pour retrouver cette saine atmosphère où respirent à l’aise les Pauline et les Chimère. Imaginez maintenant cette noble et simple figure placée dans un cadre digne d’elle, au milieu de personnages vrais ou possibles, en face de situations logiquement amenées qui nous fassent assister aux luttes de sa conscience et de son cœur : il y aurait eu assurément dans ce seul spectacle de quoi satisfaire toutes les exigences et affronter tous les parallèles. Si tel n’a pas été l’effet général de Diane, c’est que les faiblesses, nous allions dire les puérilités de l’exécution, ont fait disparaître ce qu’il y avait de vraiment louable dans l’idée première.

Et, d’abord, comment l’auteur n’a-t-il pas compris qu’en sacrifiant à ce point tous les autres rôles, il nuisait non-seulement à l’ensemble de son œuvre, mais à ce personnage même qu’il voulait mettre en relief ? Est-ce ainsi qu’ont procédé les maîtres ? Croit-il qu’Hamlet aurait toute sa valeur sans Ophélia ? Malcolm et Macduff ne font-ils pas valoir Macheth ? Néron ne ressort-il pas mieux entre Agrippine et Burrhus ? On pardonne à un compositeur d’écrire un opéra pour une voix exceptionnelle, telle que celle de la Malibran ou de l’Alboni : la musique, quoi qu’on en puisse dire, a surtout pour objet de charmer l’oreille, et une cavatine, un air de bravoure, quelques traits éblouissans, peuvent suffire au plaisir d’une soirée. Dans le drame au contraire, toute solution de continuité déconcerte ou mécontente, et, lorsqu’arrivent les situations ou les paroles destinées à émouvoir, elles nous trouvent rebelles à l’émotion, parce que nous avons, dans l’intervalle, perdu de vue tout ce qui les amène ou les explique. Cet inconvénient a été visible pendant toute la représentation de Diane. Dès que Mlle Rachel n’était plus en scène, une indifférence si profonde s’emparait des spectateurs, que, quand elle reparaissait, ils n’étaient plus au courant ; ils ne se rendaient pas suffisamment compte des sentimens qui l’agitaient, et une partie de ses effets était amoindrie ou perdue. L’amour de Paul et, de Marguerite, celui de Diane et de M. de Pienne, pourraient jeter sur le drame