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éveillées et inquiètes n’avaient pas le temps, comme lui, de savourer longuement leur vengeance ; on craignait que la déclaration de lord John Russell ne fût encore une de ces feintes retraites auxquelles il avait habitué le parlement. La froide main de sir Benjamin Hall est venue tâter le pouls de ce ministère à l’agonie pour savoir s’il était bien réellement mort : « Au moins, a-t-il dit à lord John Russell, nous avons la promesse solennelle que nous ne vous reverrons plus ! »

Telle a été l’oraison funèbre prononcée à la chambre des communes sur l’administration qui a dirigé l’Angleterre durant les six dernières années. Les humiliations ne lui ont certes pas été épargnées ; les reproches, les échecs, lui ont été prodigués. Cependant le cabinet de lord John Russell avait cet avantage, de ne s’attirer que des railleries et des querelles ; tous les partis s’en moquaient, aucun au fond ne le haïssait. Puissent les cabinets qui vont fonctionner ne pas s’attirer des haines en place d’inoffensives railleries, et puissent les commotions politiques ne pas remplacer avec lord Stanley les simples crises ministérielles qui ont caractérisé l’administration de lord John Russell !

L’attitude prise par lord Palmerston et le rôle qu’il se prépare se manifestent parfaitement dans cette séance, et ne sont pas moins importans que la chute du cabinet. Ainsi, c’est en traînant ses anciens collègues devant la nation, en les forçant à faire pour ainsi dire amende honorable devant elle, qu’il les a renversés. C’est aussi en face de la nation qu’il s’est placé lui-même ; sans déserter son parti, il efface en lui le caractère du whig officiel pour se poser plus que jamais comme le représentant de l’Angleterre et le type le plus accompli du patriote anglais. Une popularité de plus en plus grande l’entoure et fait de lui le personnage le plus important de l’Angleterre contemporaine ; il n’y a aucun inconvénient à le déclarer. Maintenant lord Palmerston est identifié dans l’esprit national anglais avec l’idée même des dangers de la patrie ; il est le ministre désigné d’avance pour les jours de détresse ou de péril, et il a été très bien observé, selon nous, tout récemment, que dans le cas où une guerre éclaterait, l’Angleterre n’aurait pas d’autre premier ministre que lord Palmerston.

Le cabinet tory est maintenant complètement formé, et lord Derby a déjà exposé devant la chambre des lords le programme politique de son ministère. On s’est beaucoup moqué, dans les derniers temps, du cabinet de lord John Russell, de son népotisme, de son incapacité ; nous ne savons si l’Angleterre se trouvera plus satisfaite de la composition du cabinet de lord Stanley. « C’est un cabinet composé d’hommes inconnus, d’enfans et d’aventuriers, » s’écriait durement l’organe des peelites, le Morning Chronicle, irrité sans doute que le comte de Derby n’eût point mêlé quelques parvenus conservateurs à sa bande d’aventuriers, pour parler le langage qui se parle de l’autre côté du détroit. Les amis de Robert Peel brillent en effet dans ce cabinet par leur absence ; ainsi les vieilles inimitiés règnent toujours ; la réconciliation n’était qu’apparente entre les deux fractions du parti tory. Il manque au cabinet de lord Derby cet élément qui lui aurait donné plus de modération, et eût été une garantie contre l’esprit entreprenant de ses membres les plus distingués. Lord Derby en effet s’est entouré de collègues avec lesquels il pourra tout oser dans le sens de son parti, mais avec lesquels il ne pourra rien empêcher, ni rien se faire pardonner des autres partis. À cela près, nous reconnaissons volontiers les qualités