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chers de la patrie. Avait-il assez humilié son orgueil ? s’était-il fait assez soumis dans cette séance qu’il aurait pu rendre fameuse, s’il eût voulu défendre sa politique comme il l’avait défendue l’année précédente, alors qu’il prononçait son célèbre civis Romanes sum ? Mais non, lord Palmerston avait refoulé en lui tous ses ressentimens, son langage avait été plein de résignation, sa tenue pleine de réserve ; il ne se séparait point de son parti, et ne passait ni aux radicaux, ni aux tories. Dans les séances suivantes, non-seulement il avait gardé la même attitude, mais il s’était montré plein de bonne volonté pour le ministère, il l’appuyait de ses votes et de sa parole. Il avait soutenu à la première lecture le bill de lord John Russell sur la milice contre ses anciens amis les radicaux, contre M. Cobden et M. Hume ; il avait, au sujet de la motion présentée par lord Naas, relativement à l’affaire du publiciste irlandais Birch Somerville, couvert de sa protection le gouverneur de l’Irlande, lord Clarendon. C’est en défendant son parti, et non en l’attaquant, que lord Palmerston l’a fait succomber. Qu’est-il venu dire dans cette célèbre séance où le cabinet a péri ? Il a dit qu’il appuyait les mesures proposées par le gouvernement, qu’il voterait pour elles, mais qu’elles ne lui semblaient pas assez larges ; en un mot, que les mesures étaient excellentes, mais que, dans son opinion, elles n’étaient pas assez franches ; que le ministère se défiait d’une partie de la nation, l’Irlande, et qu’il avait peur du patriotisme de l’autre partie, l’Angleterre. Voilà le résumé et, mieux que le résumé, le sens et la portée profonde du discours de lord Palmerston. Il a montré ses anciens collègues en défiance du sentiment national, tremblans devant ses exigences patriotiques ; et lorsqu’à la fin de son discours il s’écriait : « Si vous vous méfiez des citoyens anglais, et si vous ne comptez pas sur eux pour défendre le territoire, alors appelez la Russie, faites venir l’Autriche, » il y avait dans ces paroles comme un secret reproche de mystères diplomatiques inconnus au public, comme une justification de sa conduite passée et presque une accusation de trahison portée contre les ministres qui l’avaient expulsé du conseil. Le coup était mortel, quoi qu’indirect, et le ministère n’y a pas survécu. C’est en vain que le ministère est venu exposer toutes les bonnes raisons qu’il avait à donner, c’est en vain que M. Fox Maule a remarqué que, si on étendait le bill à un trop grand nombre de personnes, on armerait des gens qui sont l’écume de l’Angleterre ; c’est en vain que lord John Russell a observé que le caractère local du bill n’était pas une injure pour l’Irlande, puisque le bill n’était pas applicable à l’Écosse, dont il était impossible de suspecter le patriotisme : une majorité de onze voix s’est prononcée pour l’adoption de l’amendement de lord Palmerston, qui effaçait du bill le mot local, et qui en étendait l’application à l’Irlande comme à l’Angleterre. Alors lord John Russell est monté à la tribune pour déclarer qu’il laisserait à tout autre honorable membre du parlement qui voudrait s’en charger le soin de présenter le bill ; mais là encore il a rencontré lord Palmerston, qui est venu lui reprocher sa retraite comme un acte de désertion. « Quoi ! lui a-t-il dit avec la plus amère ironie, lord John Russell voit un prétexte de se retirer des affaires dans l’adoption de mesures que la chambre juge utiles à la sécurité de la nation ! Est-ce bien là le rôle d’un premier ministre ? » Et lord Palmerston a parlé encore et longuement ; il s’est donné le plaisir d’humilier son ennemi déjà vaincu. Cependant autour de lui les ambitions