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pareil fut employé dans la même intention par le général romain pour éloigner du champ de bataille le petit peuple de Mérovée. En fait, Aëtius parut ouvertement consentir au départ de Thorismond, ce qui équivalait à la levée du blocus d’Attila.

Ignorant de tous ces débats et toujours enfermé dans son camp, où il voyait avec douleur son armée se fondre d’elle-même par les privations et la maladie, le roi des Huns semblait attendre, pour prendre un parti, quelque aventure du genre de celle qui démembrait l’armée d’Aëtius. Il avait bien remarqué que les bivouacs de Thorismond étaient déserts ; toutefois, comme cette solitude pouvait cacher un piège, il se tint soigneusement sur ses gardes. Plus tard le silence, joint à la solitude prolongée, lui ayant donné la certitude du départ des Goths, il laissa éclater une grande joie ; « son ame revint à la victoire, suivant l’énergique expression de l’historien que nous citions tout à l’heure, et ce génie puissant ressaisit sa première fortune. » Faisant à l’instant même atteler ses chariots, il partit dans un appareil encore formidable. Attila ne demandait qu’à s’éloigner : Aëtius, avec des troupes réduites de plus de moitié, jugea prudent de respecter la retraite du lion. Seulement il le suivit à peu de distance et en bon ordre pour l’empêcher de piller, et tomber sur lui s’il s’écartait de sa route. Les Huns semèrent encore tout ce trajet de leurs malades et de leurs morts. On ne sait si les Burgondes accompagnèrent fidèlement Aëtius dans cette dernière partie de sa campagne, ou s’ils s’esquivèrent à l’instar des Visigoths ; mais l’histoire témoigne que les fédérés franks ne le quittèrent qu’après que les Huns eurent repassé le Rhin. Ils poursuivirent même pour leur propre compte jusqu’en Thuringe les tribus de ce pays, contre lesquelles ils avaient de terribles représailles à exercer. L’expédition d’Attila avait donc échoué ; l’épouvantail gigantesque de son armée de cinq cent mille hommes venait de s’évanouir ; la Gaule était sauvée, sinon d’une dévastation passagère, au moins de la destruction, et ce résultat, l’empire le devait à la prudence tout autant qu’au génie militaire d’Aëtius, à qui il avait fallu vaincre sans rien hasarder, car sa défaite eût marqué la fin du monde occidental. Pourtant il ne trouva pas que des admirateurs parmi ceux qu’il avait sauvés. Les Visigoths, qui n’avaient été dans sa main que des instrumens rétifs et dangereux, osèrent lui disputer l’honneur de la victoire, et la cour de Ravenne, plus jalouse et plus inique cent fois, lui fit un crime d’avoir laissé échapper son ennemi. Celui-ci du moins avait su lui rendre justice en proclamant sur le champ de bataille de Châlons que la mort d’Aëtius valait bien une défaite d’Attila.


AMEDEE THIERRY.