Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/966

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

escadrons détachés de leur front, tandis qu’Aëtius, qui en était plus rapproché, faisait partir Thorismond avec un corps de cavalerie visigothe ; celui-ci, arrivant le premier sur le plateau, chargea les Huns à la descente et les culbuta sans peine. Cette première déconvenue parut de mauvais augure à l’armée hunnique, déjà en proie à de tristes pressentimens. Pour rendre l’élan aux courages, Attila, réunissant les chefs autour de lui, leur adressa des paroles que Jornandès a reproduites dans son récit d’après la tradition gothique. Quoique l’idée de posséder une harangue d’Attila puisse surprendre de prime abord, l’étonnement diminue lorsqu’on réfléchit aux moyens mnémoniques des peuples qui, ne connaissant pas l’écriture, n’ont d’autre histoire que la tradition orale. Les événemens de leur vie publique étant, avec leurs fables religieuses, les seuls objets de leur littérature, ils les fixent dans leur mémoire avec une précision dont les récits de l’Edda nous fournissent plus d’une preuve ; et lors même qu’ils ajoutent à la réalité des faits, ils le font si bien dans la couleur des temps et des hommes, que leurs inventions mêmes constituent pour la postérité une sorte d’authenticité relative. Nous admettrons, si l’on veut, que ce soit là le caractère du discours que Jornandès met dans la bouche du roi des Huns au moins conviendra-t-on qu’il n’est pas l’ouvrage d’un rhéteur grec ou latin, et que de plus il contraste, par son âpre énergie, avec le style et les idées que pouvait tirer de lui-même l’abréviateur de l’histoire des Goths.

« Après tant de victoires remportées sur tant de nations, et au point où nous en sommes de la conquête du monde, je ferais, à mes propres yeux, un acte inepte et ridicule en venant vous aiguillonner par des paroles, comme si vous ne saviez pas ce que c’est que de se battre. Laissons ces précautions à un général tout neuf ou à des soldats sans expérience : elles ne sont dignes ni de vous ni de moi. En effet, quelles sont vos habitudes, sinon celles de la guerre ? Et qu’y a-t-il de plus doux pour les braves que de chercher la vengeance les armes à la main ? Oh ! oui, c’est un grand bienfait de la nature que de se rassasier le cœur de vengeance !… Attaquons donc vivement l’ennemi : c’est toujours le plus résolu qui attaque. Méprisez ce ramas de nations différentes qui ne s’accordent point : on montre sa peur au grand jour, quand on compte, pour sa défense, sur un appui étranger. Aussi voyez, même avant l’attaque, la frayeur les emporte déjà : ils veulent gagner les hauteurs ; ils se hâtent d’occuper des lieux élevés, qui ne les garantiront point, et bientôt ils reviendront demander, sans plus de succès, leur sûreté à la plaine. Nous savons tous avec quelle faiblesse les Romains supportent le poids de leurs armes ; je ne dis pas la première blessure, mais la poussière seule les accable. Tandis qu’ils se réunissent en masses immobiles pour former leurs tortues de boucliers, méprisez-les et passez outre ; courez sus aux Alains, abattez-vous