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évêque de les avoir trompés en leur promettant un secours imaginaire. Agnan, ferme dans la croyance qu’une révélation de Dieu même lui avait annoncé leur délivrance et qu’il ne serait point trompé, baignait de ses larmes les marches de l’autel, et, se relevant par intervalle, il s’écriait : « Montez sur la plus haute tour, et regardez si la miséricorde de Dieu ne nous vient pas ! » Quand on lui rapportait qu’aucune troupe, aucun nuage de poussière ne se montrait dans la plaine, il recommençait à prier avec plus d’ardeur. Il fit partir un soldat chargé de ce message pour Aëtius : « Si tu n’arrives pas aujourd’hui même, ô mon fils ! il sera trop tard. » Le soldat ne revint pas. À bout de ses forces et de son courage, Agnan se mit à douter de lui-même. Un orage, qui sembla ouvrir toutes les cataractes du ciel sur la ville et sur le camp ennemi, ayant suspendu les travaux du siège pendant trois jours, les habitans tinrent conseil, et décidèrent qu’il fallait se rendre. L’évêque fut chargé de porter leurs conditions au camp d’Attila ; mais le roi hun, irrité qu’on osât lui parler de conditions, repoussa brutalement le négociateur, qui rentra tout tremblant dans la ville. Il n’y avait plus qu’à se rendre à discrétion : c’est ce que firent les assiégés.

Le lendemain donc, dès le point du jour, les serrures brisées et les portes ouvertes à double battant annoncèrent que l’armée des Huns pouvait entrer. Les chefs pénétrèrent les premiers pour avoir le choix des dépouilles, et le pillage commença. Il s’opéra dans tous les quartiers avec une sorte de régularité et d’ordre : des chariots en station recevaient le butin enlevé des maisons, et les captifs, rangés par groupes, étaient tirés au sort entre les soldats. Cette opération fut interrompue par un cri soudain, qui ramena l’espérance dans le cœur des vaincus et jeta l’effroi dans celui des vainqueurs. C’étaient Aëtius et Thorismond qu’on apercevait à la tête de la cavalerie romaine, accourant à toute bride, et derrière eux on voyait briller les aigles des légions et les étendards des Goths. Ils furent bientôt devant la ville. Un premier combat eut lieu au débouché du pont, sur la rive et jusque dans les eaux de la Loire ; d’autres lui succédèrent dans l’intérieur des murs, où les captifs, brisant leurs chaînes, secondèrent les Romains de leur mieux. Traqués de rue en rue, écrasés sous les pierres que les habitans lançaient du haut des maisons, les Huns ne savaient plus que devenir, lorsque Attila fit sonner la retraite. Le patrice n’avait point manqué à sa parole : on était au 14 juin. Telle fut cette fameuse journée qui sauva la civilisation d’une destruction totale en Occident. L’église d’Orléans la célébra long-temps par une solennité où les noms d’Agnan, d’Aëtius et de Thorismond se confondaient dans ses prières ; mais Orléans était destiné à décider une autre fois encore du sort de nos aïeux, et la gloire plus récente et plus poétique de la vierge de Domremy fit pâlir celle du vieux prêtre gaulois. Cette gloire pourtant était