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avait ramené dans le midi des Gaules la confiance et le courage. Les nobles gaulois armaient leurs cliens, les paysans demandaient des armes, et, au milieu de cet entraînement patriotique, aucune tentative de bagaudie n’osa se manifester, les esclaves eux-mêmes restèrent en paix. Bien que séparée du gouvernement de l’empire, la petite république armoricaine prouva qu’elle avait toujours le cœur romain en envoyant ses guerriers au camp d’Aëtius sous leur drapeau national et sous la conduite de leur roi breton. Les Franks-Ripuaires ne furent pas les derniers au rendez-vous ; Mérovée y accourut plein d’ardeur avec ses Franks-Saliens, et Gondicaire avec ses Burgondes, impatiens de racheter leur défaite. On remarquait près d’eux un petit peuple des Alpes, les Bréons ou Brennes, qu’Aëtius avait ralliés pendant son voyage et amenés en Gaule. Lorsque Sangiban vint se présenter avec sa horde, Aëtius feignit d’ignorer sa trahison, soit pour ne pas pousser à bout par un éclat cet homme toujours incertain, soit de peur d’ébranler par un pareil exemple la fidélité des autres Barbares ; mais il fit observer soigneusement toutes ses démarches. C’étaient là les grands corps de troupes ; ils se grossirent encore des compagnies de colons barbares ou Lètes, qui arrivaient de tous les points de la province, où les communications étaient encore libres avec le midi de la Loire. Ainsi il y avait des Lètes-Teutons à Chartres, des Lètes-Bataves et Suèves à Bayeux et à Coutances, des Suèves au Mans, des Franks à Rennes, d’autres Suèves à Clermont, des Sarmates et des Taïfales à Poitiers, d’autres Sarmates à Autun, et çà et là des détachemens.de colons saxons entre l’embouchure de la Seine et celle de la Loire ; tous purent se rallier à l’armée d’Aëtius, soit au camp, soit pendant la route. Aëtius, envoyant l’ardeur qui se manifestait de toutes parts, sentit pénétrer en lui-même quelque chose de la confiance qu’il inspirait ; mais l’absence des Visigoths lui causait toujours un regret cuisant. Mettant donc à les attirer autant d’obstination qu’ils en mettaient à s’isoler, il roulait dans sa tête toutes les combinaisons qui pouvaient le conduire à son but, lorsqu’à force d’y songer, il en trouva une dont le succès lui parut infaillible.

Dans la cité d’Arvernie, aujourd’hui la province d’Auvergne, vivait un sénateur, de noblesse à la fois celtique et romaine, dont la famille avait occupé les plus hautes fonctions administratives et militaires dans l’empire d’Occident, — des préfectures du prétoire, des maîtrises des milices, des patriciats, — et à qui ses ancêtres avaient légué de si grands biens, que son fils Ecdicius, dans une circonstance où il s’agissait de la liberté de l’Arvernie, put lever une armée avec ses seuls cliens, et nourrir du blé de ses terres la ville de Clermont affamée. Ce sénateur se nommait Mecilius Avitus. Avitus présentait un étrange composé de mollesse et d’élans énergiques : homme de plaisir et homme d’étude, épicurien patriote, il avait d’abord fait la guerre et servi le gouvernement romain, sous les drapeaux d’Aëtius, avec une bravoure incomparable ;