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habitans se fussent alors dispersés, bien des causes auraient pu empêcher leur retour, et, selon toute apparence, la petite ville de Lutèce, réservée à de si hautes destinées, serait devenue, comme tant de cités gauloises plus importantes qu’elle, un désert dont l’herbe et les eaux recouvriraient aujourd’hui les ruines, et où l’antiquaire chercherait peut-être une trace de l’invasion d’Attila.

L’intention du roi des Huns n’était point de livrer la Gaule à un pillage général, au moins pour le moment. Attila, qui hasardait toujours le moins possible, aimait à surprendre son ennemi : il avait coutume de dire que « l’attaque appartient au plus brave ; » d’ailleurs les expéditions soudaines, rapides, étaient dans la nature des troupes qu’il commandait. Son plan, arrêté dès le premier jour, consistait à marcher directement sur le midi des Gaules pour attirer les Visigoths hors de leurs cantonnemens ou les y écraser avant l’arrivée des troupes romaines, qu’il savait encore en Italie. Les Visigoths détruits, il devait se porter au-devant d’Aëtius, et l’attaquer au débouché des Alpes ; quant aux Burgondes et aux Franks, il n’en tenait pas grand compte, lui qui avait déjà battu les premiers et vu fuir les seconds. Sa marche depuis Metz dévoilait ce plan à des yeux clairvoyans. Deux routes conduisaient de cette ville dans le midi des Gaules : l’une, principale voie de communication entre la province narbonnaise et les bords du Rhin, passait par Langres, Châlon-sur-Saône et Lyon, pour descendre ensuite la vallée du Rhône ; l’autre passait par Reims, Troyes et Orléans. La première, toute montagneuse, parcourait un pays où une nombreuse cavalerie ne pouvait ni se déployer ni trouver à vivre ; la seconde traversait une région plane et ouverte, qui se prolongeait encore au-delà de la Loire, dans les plaines de la Sologne et du Berry. Toujours bien renseigné sur les contrées où il voulait porter la guerre, Attila choisit la seconde de ces routes ; il comptait même s’emparer d’Orléans sans coup férir, grace à certaines intelligences qu’il avait déjà nouées avec le chef ou roi des Alains, campés en Sologne et chargés de garder les passages du fleuve. Sangiban (c’était le nom de ce roi), homme faible et méticuleux, s’était laissé intimider par les menaces d’Attila ou gagner par ses promesses, car Attila avait partout des gens qui travaillaient pour lui soit comme émissaires, soit comme espions. D’ailleurs les Alains de la Gaule, anciens vassaux des Huns, n’étaient pas tranquilles sur les suites de leur désertion, quand ils voyaient les puissans Visigoths eux-mêmes réclamés comme des esclaves fugitifs. Ces réflexions agirent sur l’esprit du roi alain, qui consentit à livrer Orléans aux troupes d’Attila. Peut-être aussi le médecin Eudoxe promettait-il à son protecteur une insurrection de paysans dans les provinces cisligériennes qui avaient été le principal foyer de la bagaudie. Le roi des Huns avait donc bien des motifs de hâter sa marche sur Orléans. Ramenant à lui les ailes de son armée, il la concentra