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L’enfance de Geneviève ne se passa point, quoi qu’en dise la tradition populaire, à garder les moutons : douce, maladive, cherchant avant tout le repos, la fille de Severus n’avait pas de plus grand plaisir que de s’enfermer dans une chambre de sa mère pour y prier et y rêver, et, dès qu’elle le pouvait, elle s’échappait à l’église. Son humeur taciturne et solitaire l’isolait des autres enfans, aux jeux desquels on ne la voyait jamais se mêler. À sept ans, elle se dit qu’elle prendrait le voile des vierges chrétiennes sitôt que l’âge en serait venu, et, nonobstant les représentations de ses parens, à qui ce parti déplaisait, ce fut dès-lors chose inébranlable dans son esprit. Il arriva que vers ce temps, c’est-à-dire en 429, Nanterre fut honoré par la visite de deux personnages illustres, Germain, évêque d’Auxerre, et Loup, évêque de Troyes, que le clergé des Gaules envoyait dans l’île de Bretagne comme ses plus éminens docteurs, afin d’y combattre l’hérésie de Pélage, dont la population bretonne et les prêtres même s’étaient laissé infecter. Les deux missionnaires, sur l’invitation des habitans du village, avaient promis d’y prendre gîte pour une nuit. Nanterre était donc dans la joie, et, au jour marqué, hommes, femmes, enfans, revêtus de leurs habits de fête, allèrent attendre leurs hôtes sur la route pour les recevoir et les accompagner à l’église. Au milieu de la foule qui le pressait et l’admirait, Germain remarqua une jeune fille parée des graces modestes de l’enfance, et dont l’œil vif et brillant semblait jeter une flamme surnaturelle ; il lui fit signe d’approcher, la souleva dans ses bras, et, lui déposant un baiser paternel sur le front, il lui demanda qui elle était. Aux réponses brèves et précises de Geneviève (car c’était elle), à la fermeté de son regard, le vieillard resta pensif ; puis, s’adressant aux parens : « Ne la contrariez pas, leur dit-il, car ou je me trompe bien, ou cette enfant sera grande devant Dieu. » Le lendemain matin, il voulut lui imposer les mains. À partir de ce moment, la vocation de Geneviève fut plus opiniâtre que jamais, son caractère plus réfléchi, ses habitudes plus retirées ; elle ne quittait l’église que pour les pauvres ; à un âge où l’on connaît à peine les occupations sérieuses, sa vie se partageait entre la prière et le soin des malades. L’opposition de ses parens ne fit que s’en accroître, et sa mère un jour s’emporta contre elle jusqu’à lui donner un soufflet ; mais ni mauvais traitemens ni menaces ne firent dévier d’un pas cette résolution inflexible. Quand elle eut atteint l’âge de quinze ans, elle se présenta devant l’évêque de Chartres, Julianus, qui lui attacha sur le front le voile des vierges, et, ses parens étant morts peu de temps après, elle se réfugia près de sa marraine, qui habitait Paris.

Ce fut alors que Geneviève donna carrière à sa passion de retraite et d’austérités. On rapporte qu’elle avait fait disposer dans la ruelle de son lit une couche de terre glaise sur laquelle elle s’étendait la nuit ; sa seule nourriture fut long-temps du pain d’orge et de l’eau, et il