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dont les masses encombraient non-seulement les abords du Danube, mais les campagnes environnantes. Jamais, depuis Xercès, l’Europe n’avait vu un tel rassemblement de nations connues ou inconnues ; on n’y comptait pas moins de cinq cent mille guerriers. L’Asie y figurait par ses plus hideux et plus féroces représentans : le Hun noir et l’Acatzire, munis de leurs longs carquois, l’Alain avec son énorme lance et sa cuirasse en lames de corne, le Neure, le Belionote, le Gélon, peint et tatoué, qui avait pour arme une faux, et pour parure une casaque de peau humaine. Des plaines sarmatiques étaient venues sur leurs chariots les tribus basternes, moitié slaves, moitié asiatiques, semblables aux Germains par l’armement, aux Scythes par les mœurs, et polygames comme les Huns. La Germanie avait fourni ses nations les plus reculées vers l’ouest et le nord : le Ruge des bords de l’Oder et de la Vistule, le Scyre et le Turcilinge, voisins du Niémen et de la Düna, noms alors obscurs, mais qui devaient bientôt cesser de l’être ; ils marchaient armés du bouclier rond et de la courte épée des Scandinaves. On voyait aussi Mérule, rapide à la course, invincible au combat, mais cruel et la terreur des autres Germains, qui finirent par l’exterminer. Ni l’Ostrogoth ni le Gépide ne manquaient à l’appel ; ils étaient là avec leur infanterie pesante, si redoutée des Romains. Le roi Ardaric commandait les Gépides ; trois frères du sang des Amales, Valamir, Théodemir et Vidémir, se montraient en tête des Ostrogoths. Quoique la royauté fût par élection dans les mains de Valamir l’aîné, il avait voulu la partager avec ses frères, qu’il aimait tendrement. Les chefs de cette fourmilière de tribus, tremblans devant Attila, se tenaient à distance, comme ses appariteurs ou ses gardes, le regard fixé sur lui, attentifs au moindre signe de sa tête, au moindre clignement de ses yeux : ils accouraient alors prendre ses ordres, qu’ils exécutaient sans hésitation et sans murmure. Il en était deux qu’Attila distinguait particulièrement au milieu de cette tourbe, et qu’il appelait à tous ses conseils : c’étaient les deux rois des Gépides et des Ostrogoths. Valamir apportait dans ses avis une franchise, une discrétion et une douceur de langage qui plaisaient au roi des Huns ; Ardaric, une rare prudence et une fidélité à toute épreuve. Telle était cette armée, qui semblait avoir épuisé le monde barbare, et qui cependant n’était pas encore complète. Le déplacement de tant de peuples fit comme une révolution dans la grande plaine du nord de l’Europe ; la race slave descendit vers la mer Noire pour y reprendre les campagnes abandonnées par les Ostrogoths, et qu’elle avait jadis possédées ; l’arrière-ban des Huns noirs et l’avant-garde des Huns blancs, Avares, Bulgares, Hungares, Turks, firent un pas de plus vers l’Europe. Les dévastateurs de tout rang, les futurs maîtres de l’Italie, les remplaçans des césars d’Occident, se trouvaient là pêle-mêle, chefs et peuples, amis et ennemis.