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leurs voix. Le nom du sénat rappelait un état de société dangereux, mais brillant, dont l’intérêt avait pu souffrir, mais qui conservait l’attachement et le regret de toutes les nobles ames. Le sénat avait renfermé dans son sein tout ce qui s’élevait dans la société romaine au-dessus du niveau commun par la naissance, le talent ou les armes. Ce n’était pas comme le couronnement de ces grandeurs diverses, c’était sur leurs débris que la monarchie romaine s’était fondée. Quelque nécessaire que pût être d’ailleurs l’établissement de cette monarchie dans l’état général du monde, ce fut là (il faut en convenir avec M. de Saint-Priest) son vice originel. Elle n’était pas le produit, elle était l’ennemie du sénat. Ce n’était pas comme les chefs naturels des classes élevées et polies, c’était comme les complices habiles d’une faction populaire que les empereurs avaient fondé leur établissement monarchique. Ils n’étaient au fond que des Catilinas plus heureux, servis par le génie et les circonstances, qui avaient substitué une force régulière à une force brutale pour accomplir le but de tous les factieux, celui de couper toutes les têtes pour égaler toutes les tiges. Quelque haut qu’il fût parvenu, le despotisme des césars partait cependant toujours d’en bas. De là sa défiance constante, de là ses inimitiés sanguinaires contre les débris d’une aristocratie abattue, de là ce soin jaloux d’entasser tous les pouvoirs sur sa tête, de crainte qu’abandonnée à son libre cours, quelque parcelle n’en retournât à ses dépositaires naturels. Ainsi se traîna l’empire romain, entre un sénat régulièrement décimé, et des empereurs aussi régulièrement assassinés, entre des citoyens chaque jour plus avilis par des souverains chaque jour plus méprisables, jusqu’à ce qu’il ait mérité de la justice de la postérité le nom éloquent de Bas-Empire : expression d’une justesse incomparable, car cette combinaison d’un souverain qui exerçait une autorité sans prestige comme sans limites, et d’une nation qui prêtait une obéissance sans condition, mais sans respect, formait certainement le système de gouvernement le plus bas que le châtiment céleste eût réservé à une société coupable.

Toute différente fut, dans son développement et son origine, la royauté héréditaire des temps modernes. Elle s’élève au-dessus de la tête, mais non sur les ruines des diverses aristocraties qu’elle subjugue sans les détruire. Vainement rappellerait-on ici les longues luttes soutenues par nos rois pour la destruction de la féodalité et les progrès de l’égalité civile. Outre qu’il n’y a point de ressemblance entre la brutale et anarchique noblesse des temps féodaux et l’aristocratie romaine, élégante, civilisée, politique, mère de tant d’orateurs et de généraux, toute autre analogie manquerait également de fondement. Les rois d’Europe furent long-temps les premiers gentilshommes et les premiers seigneurs de leur royaume. C’est même ainsi, M. de Saint-Priest le fait très bien voir dans son second volume, que toutes les familles