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débris de l’ancienne aristocratie, dispersée par l’émigration, rassemblée de nouveau autour du trône, et qui essayait de se façonner à la politique pour reprendre son rang dans la France renouvelée.

Des hommes comme Alexis de Saint-Priest étaient rares et eussent été bien nécessaires dans cette société pour renouer ses traditions interrompues. M. de Saint-Priest possédait à un éminent degré quelques-unes des qualités qui auraient fait le renom d’un grand seigneur d’autrefois. La culture assidue des lettres, la pureté du goût, le sentiment et l’amour du beau dans toutes les œuvres de l’intelligence ont figuré en effet au premier rang parmi les titres d’honneur de l’ancienne aristocratie française. Ce ne fut pas là seulement pour elle un délassement, encore moins une prétention. À y bien regarder, peut-être est-ce par son action sur les lettres que l’aristocratie a véritablement contribué au développement historique de la France. Si l’on voulait définir le rôle de la noblesse de France dans notre histoire, on ne saurait, pour être équitable, dire qu’il ait été politique, mais il fut avant tout belliqueux et littéraire. Les armes et les lettres furent de très bonne heure l’apanage de cette classe brillante et irréfléchie qui ne sut jamais prendre les allures graves d’une magistrature politique et se laissa facilement évincer par une royauté ambitieuse et par une bourgeoisie patiente du gouvernement de son pays. La noblesse n’a jamais gouverné en France, mais elle a défendu le sol par son courage et formé l’esprit français, quelquefois par d’excellens modèles, toujours par une critique pleine de goût et de bon sens. Il n’est pas de nation peut-être qui compte autant d’hommes de qualité parmi ses grands écrivains. Montaigne, La Rochefoucauld, Vauvenargues, Buffon, ne sont pas même les plus éclatans. Il faut nommer avant tout ces simples gentilshommes ou ces femmes incomparables qui ont su donner au récit de leur vie ou aux élans de leur cœur les traits éloquens du génie. Il faudrait énumérer ces correspondances et ces mémoires, genres nouveaux de littérature presque inconnus hors de France et éternellement liés désormais aux noms immortels de Grammont, de Sévigné et de Saint-Simon. Là se développa la supériorité véritablement originale de l’aristocratie française. Elle n’avait pas su donner des lois aux peuples dans les séances orageuses de la fronde, mais elle en dicta au style dans les savantes assises de l’hôtel de Rambouillet, et, gauchement placés sur les bancs fleurdelysés du parlement, les ducs et pairs étaient à leur aise à l’Académie.

Associée ainsi par la littérature à tous les progrès de l’esprit français, ce fut par elle aussi que la noblesse prit part à ce mouvement du XVIIIe siècle dont on parle depuis cinquante ans, dont on pourra parler un siècle encore, sans en dire jamais ni assez de bien ni assez de mal. Les gens de lettres et les gens du monde descendirent ensemble et dans