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avec Bridget. Tabitha, comtesse de Peebles, prévoyant que son cher comte peut, d’un jour à l’autre, lui faire faux bond, s’est hâtée, tout au contraire, de se lier avec la nouvelle lady Penrhyn, et ces deux dames vont ensemble à Hyde-Park, l’été, se faire admirer à titres divers : l’une pour son bel équipage armorié, l’autre pour sa beauté singulière, originale, que lui envient les femmes les plus décidées à lui témoigner par leur mépris qu’elles connaissent « ses antécédens. »

David Stuart élève la fille de lady Margaret, — Euphemia Fordyce, — comme jadis il élevait Eleanor Raymond, avec le même zèle et le même succès. Sa femme lui a donné plusieurs enfans. L’aînée porte le nom d’Eleanor, en mémoire de l’amie qui n’est plus, qu’on regrette, et pour laquelle on prie.

Lady Margaret ne sait pas, — personne ne sait, — excepté Godfrey Marsden, réduit d’ailleurs à de simples conjectures, — qu’Eleanor a aimé David Stuart, et que David Stuart a voulu épouser Eleanor. Elle se croit la passion unique, le bonheur suprême de son mari ; elle croit et mérite de croire qu’elle le possède tout entier ; — mais cela n’est pas. Quelque chose de froid gît au fond du cœur de David Stuart, que nul sourire de Margaret, si radieux et si chaud qu’il puisse être, ne fondra jamais : — un souvenir triste, que toute sa brillante gaieté n’effacera point, le souvenir d’Eleanor, — de cette Eleanor si complètement à lui, — qu’il a aimée… qu’il a tuée.

Ce souvenir hante à ses côtés le beau domaine de Dunleath, — ce domaine, cause de tout le mal, — qu’elle voulait racheter pour le lui rendre, — qu’il tenta de ravoir, au risque de la ruiner, — et, par le fait, en ruinant l’avenir de cette douce et charmante créature.

Il ne regarde jamais sans quelque effroi cette enfant, préférée à ses frères et soeurs, qu’il a voulu nommer Eleanor, en mémoire de la chère morte ; car il a peur que le ciel ne le punisse en elle, qu’il n’envoie la misère à la fille du tuteur infidèle, un mauvais mariage à l’homonyme de lady Penrhyn.

Cette enfant, sur les genoux de son père, le soir, au soleil couchant, ne sait pas s’expliquer pourquoi il se tait tout à coup, et pourquoi des ombres passent sur son front comme sur les murailles grises du château ; mais elle comprend qu’il a du chagrin, et, sans le consoler autrement, elle appuie contre sa joue humide sa joue pâle et fraîche.


E.-D. FORGUES.