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autre… Elle le souffre avec peine à la lodge…, soit — il viendra au château… Elle n’aime pas le voir aux talons de son cheval ;… soit encore : — je le mettrai à table, à côté d’elle… Par le sang de Dieu ! qui est maître ici ?… Vous ou moi ?… Il se passe dans ma maison d’étranges choses depuis que vous y êtes tombé de je ne sais où… Mais cette maison est à moi ; ma femme est à moi ; cet enfant est à moi… Nous n’avons nul besoin de vous pour nous gouverner, et je n’ai nul souci de vous voir franchir encore le seuil de cette porte… Croyez-le bien.

Puis, écartant l’enfant et regardant autour de lui :

— Retournez près de votre mère, et venez ce soir dîner au château… Vous apporterez vos affaires… — vous y coucherez désormais… vous m’entendez ?… Rentrez, Bridget !… Eleanor, souhaitez le bonjour à M. Stuart !…

Lui-même porta la main à son chapeau, après avoir fait monter sa femme dans le tilbury ; puis il partit avec elle.

Le vieux Sandy, accompagnant David à travers les bois et marchant à côté de son cheval, lui expliqua longuement ce qu’il y avait d’inintelligible pour lui dans cette scène violente, dans ces révélations soudaines…

Sandy revint le soir, porteur d’une lettre qu’il remit à Eleanor, lorsqu’il la vit seule dans son appartement. Elle y était rentrée en larmes, car sir Stephen avait tenu sa promesse : le fils de Bridget avait pris, à table, la place de Frédérick et de Clephane. Voici ce que lurent ses yeux encore humides :

« Après ce que j’ai vu et entendu, Eleanor, je me sens inévitablement appelé à vous offrir des conseils où vous auriez tort de chercher une égoïste inspiration, bien que ma destinée future dépende entièrement du parti que vous allez prendre.

Les torts qu’on a eus envers vous sont de telle nature que, lors même qu’ils seraient irréparables, vous seriez en droit de vous soustraire aux chagrins dont on vous abreuve… Mais — vous l’auriez su plus tôt, si vous n’aviez pas craint de m’initier dans toutes vos douleurs, — il vous reste un recours certain contre une autorité dont on abuse. Les lois anglaises, il est vrai, vous condamneraient à la subir sans rémission ; elles ne vous permettraient pas le divorce ; elles rendent obligatoire pour la femme le lien dont se joue impunément le mari.

« En Écosse, les choses vont autrement. Les fautes de l’époux comme celles de l’épouse sont punies par la rupture du nœud qui les unit. La loi écossaise peut vous affranchir ; elle peut vous rendre la pleine et entière liberté de votre choix, vous replacer dans les mêmes conditions où vous étiez jadis, lorsque par ma faute, par ma trahison, vous fûtes condamnée à ce destin dont je voudrais, au prix de mon sang, vous affranchir aujourd’hui.