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— Mistress Stuart était si bonne… Ne fût-ce que par égard pour sa mémoire, ajouta lord Peebles, timidement révolté.

— Allons donc ! reprit Tib avec un rire qui tenait du sifflement de la vipère, un ivrogne est un ivrogne, un fripon est un fripon, si bonne que sa femme puisse être… D’ailleurs, quant à elle, je n’ai rien connu de plus orgueilleux. Rappelez-vous comme elle portait haut la tête… Il a fallu en rabattre, et c’était justice.

David Stuart, le dos tourné et feignant de parcourir un livre de musique, s’était jusqu’alors imposé silence ; avec quelle contrainte, on peut le deviner. À ces derniers mots, il tourna sur lui-même comme mu par quelque force irrésistible ; mais, au moment où ses lèvres s’ouvraient déjà, une main légère se posa sur son bras, une douce voix à son oreille murmura ces mots : Prenez garde !

Si rapide qu’eût été le geste d’Eleanor, Tib l’avait parfaitement vu. Elle ne put pas entendre les mots prononcés, mais elle se rendit compte de leur mystérieux caractère. Le duc de Lanark, lui aussi, avait vu la main d’Eleanor se poser sur le bras de M. Lindsay, et sa franche physionomie exprimait une profonde surprise, lorsqu’il dit regardant David avec attention - Il faut juger avec indulgence des fautes que nous ne comprenons pas toujours.

Eleanor, près de laquelle il s’était assis, put croire que ces paroles s’adressaient à elle.

Le lendemain, après le déjeuner, Eleanor et David se trouvèrent un moment seuls au salon. Le reste des habitans du château s’apprêtait pour une longue promenade. Ces occasions étaient rares, et on eût pu les croire empressés d’en profiter. Cependant pas une parole ne fut échangée entre eux.

Eleanor sentait - de mieux en mieux combien sa position était fausse. Encore vingt-quatre heures, et son mari allait être de retour. Comment l’aborderait-elle ? Comment lui présenterait-elle cet inconnu dont le nom, après tout, pouvait être révélé d’un moment à l’autre ? Elle ne comprenait pas l’obstination de David à se taire encore. N’avait-il pas le droit de se montrer le front haut devant tous, maintenant que sa faute était réparée ? Et de quel fardeau ne la déchargerait-il pas, s’il prenait ce parti ! David, lui, ne songeait en aucune manière à cette difficulté de sa situation présente. Ses pensées peu à peu s’étaient concentrées sur un seul point : il allait enfin voir sir Stephen Penrhyn, l’arbitre des destinées d’Eleanor ; il allait connaître cet homme aux mains duquel il avait laissé une si douée, une si charmante créature, et qui avait si mal compris la mission sacrée dont il était ainsi investi. Il y avait quelque chose de fiévreux dans cette attente de David Stuart.

Chacun ainsi préoccupé, tous deux gardaient le plus profond silence,