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ne pouvoir donner son nom à cette femme qu’il tenait alors dans ses bras ; elle entendit tout cela sans éprouver d’autre sentiment qu’une crainte misérable d’être surprise écoutant ces adultères aveux, — quelque chose comme la pénible impression d’un mauvais rêve, — et plus tard l’amertume de ne plus compter ici-bas que comme un obstacle, une entrave, un remords.

L’isolement d’ailleurs se faisait autour d’elle. Lady Raymond était morte ; une jeune Indienne. — esclave volontaire dont le dévouement pour Eleanor tenait du fanatisme propre à cette race si étrangement douée, — venait de mourir aussi, minée par le regret des deux enfans confiés à ses soins ; lady Margaret était depuis quelque temps en Italie, auprès de la duchesse douairière de Lanark ; jusqu’à Godfrey Marsden, dont la rude affection faisait faute en ce moment à sa triste sœur, et qui naviguait au loin sur le vaisseau dont elle lui avait fait obtenir le commandement.

En face de cette solitude, de cet abandon, s’étalait, dans sa pompe égoïste et ridicule, Tabitha Christison, — Tib, comme on appelait naguère la vieille fille, mais elle ne voulait plus que son mari lui-même l’appelât ainsi, — l’orgueilleuse créature aux longs projets ambitieux, sourdement couvés, savamment menés à terme. À force de soins, de patiente abnégation, d’habile tactique, Tib avait conquis sa proie. Au grand désespoir de lady Macfarren, elle était comtesse de Peebles ; elle avait pris son essor dans ce monde patricien où jusqu’alors on l’avait traitée en véritable comparse, en garde-malade d’un vieux célibataire goutteux. Tib maintenant appliquait sa politique, son machiavélisme à écarter d’elle les humbles amies de sa première fortune, à s’égaler aux plus superbes, à rivaliser avec les plus riches, et le monde, dompté par cette persévérance, par cette égoïste sagacité, par ces efforts de chaque heure et de chaque minute, apportait aux pieds de Tib, — de cette vieille pédante aux traits disgracieux, à l’accent vulgaire, — les hommages et les soins qui manquaient à la silencieuse douleur d’une femme jeune et charmante, aux angoisses d’un cœur noble entre tous.

Ces angoisses, à la longue, s’étaient transformées en une espèce de paralysie morale, d’irrémédiable apathie qui peu à peu retranchait Eleanor du nombre des vrais vivans. « Son œuvre était finie, » comme celle d’Othello après la fatale vengeance. Les sources où l’ame se retrempe étaient taries pour elle, et des mois, des années pouvaient s’écouler ainsi, sans amener plus de changement à cette morne et muette désespérance qu’à l’état du cadavre conservé sous les neiges de l’avalanche alpestre.

Ce fut alors, par une mélancolique soirée d’octobre, au fond d’un petit appartement de Penrhyn-Castle, où elle vivait confinée, que ce vieux domestique dont nous avons parlé, — Sandy, l’ancien serviteur