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différentes. Frédérick, le dernier venu, avait pour lui la fraîcheur, la force, la vivacité ; Clephane, au contraire, était doux, maladif, mélancolique. On devine lequel des deux était le favori de leur mère, attentive à réparer l’injustice apparente de la nature. Sir Stephen, en revanche, préférait Frédérick, sa malice, sa gaieté, jusqu’à ses révoltes précoces.

À côté du berceau où dormaient côte à côte ces deux anges gardiens, Eleanor plus d’une fois se rappela le singulier tableau d’un artiste portugais, Siquiera, qui, sur la même toile, voulant représenter l’enfer et le paradis, a étendu sous les pieds des élus, comme un doux tapis de fleurs fraîchement écloses, un lit de figures enfantines. Elle trouvait, dans la contemplation de ces deux sourians chérubins, la force nécessaire à tous ses chagrins, une compensation à toutes les souffrances qu’elle étouffait secrètement. Par eux, elle vivait dans l’avenir, non dans le présent stérile, non dans le passé rempli de souvenirs accablans. Ce fantôme dont sa mémoire était hantée, l’image de David Stuart expiant par une mort terrible des torts qu’elle lui eût si aisément pardonnés, s’effaçait peu à peu, et le regret cédait la place.aux espérances.

À Londres cependant plutôt qu’à Penrhyn-Castle, plutôt que dans cette orgueilleuse demeure féodale enfouie parmi les sapins, Eleanor se sentait vivre : non qu’elle aimât le monde, ou prît grand intérêt aux préoccupations politiques de ceux qui l’entouraient ; mais, s’il lui était indifférent d’apprendre que le duc de Lanark était arrivé au ministère, ou même que, par son crédit, Godfrey Marsden, toujours irréprochable, toujours grondeur et mécontent, venait d’obtenir une commission, elle se retrouvait avec une véritable joie auprès de lady Margaret, sa plus véritable amie. Puis, à Londres, s’il faut tout dire, elle n’était pas aux prises avec un odieux soupçon que jamais elle n’avait voulu éclaircir, et qu’elle repoussait au contraire de sa pensée comme une inspiration de l’esprit du mal.

En arrivant pour la première fois à Penrhyn-Castle, elle y avait trouvé, déjà installée dans la lodge qui fermait la principale avenue, une jeune et belle femme avec un enfant en bas âge. Bridget Owen (c’était le nom de cette personne) était, selon sir Stephen, la femme d’un de ses tenanciers, condamné à la transportation pour vol de bestiaux, et qu’il avait fait venir du pays de Galles, où il possédait aussi d’assez vastes domaines, pour la soustraire aux humiliations injustes dont elle y aurait été abreuvée. Cette histoire fort plausible avait tout d’abord intéressé lady Penrhyn. Plus d’une fois, elle était allée à la lodge porter des paroles de consolation ou d’espérance ; mais elle y était reçue avec une déférence contrainte, une indicible froideur, et n’obtenait jamais que des réponses empreintes d’une farouche ironie. L’enfant