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et protection ? Et lorsque je pensais à lui demander de me venir en aide, est-il juste, est-il naturel que ce soit moi qu’il blâme, moi qu’il avertisse de courber la tête ?

Ces doutes, ces anxiétés jetaient sur l’avenir de la jeune femme un voile épais que son esprit se fatiguait à vouloir percer.

— Lady Penrhyn, permettez-moi de vous présenter mistress Christison de Dunleath et miss Christison.

Ces seuls mots, prononcés par lady Macfarren au moment où on se mettait à table pour dîner, firent tressaillir Eleanor. Elle avait devant elle la veuve et la fille de cet homme d’affaires auquel David attribuait la ruine de son père, et qui, du produit de ses rapines, avait acheté ce Dunleath, l’objet de tant de désirs auxquels la pupille de David s’était si ardemment associée. Mistress Christison n’avait rien de remarquable qu’une sorte de bienveillance banale et bavarde. La fille était, des pieds à la tête, une vieille fille. Depuis l’âge de seize ans, elle songeait au mariage, et il y avait vingt-neuf ans qu’elle y songeait en vain : non qu’elle n’eût trouvé maint et maint parti dont elle eût pu s’accommoder avec des prétentions un peu moins hautes et un moins vif désir de gagner sur le marché ; mais il s’était toujours trouvé que, lorsqu’un prétendant s’offrait à Tabitha Christison, il était de ceux qu’elle jugeait indignes d’aspirer à sa main, — et que cette main si précieuse n’avait jamais été sollicitée par ceux que Tabitha Christison, dans le secret de son ame, appelait à l’honneur de la posséder.

Or, s’il est des vieilles filles à qui rien ne manque, pour figurer au calendrier, que la canonisation, — tendres et nobles ames qui, par des liens volontaires et sacrés, remplacent le joug conjugal, sœurs de charité près des malades, mères d’adoption pour l’orphelin, auxiliaires bénis d’une veuve chargée de famille, — il est une autre race de vierges surannées, toujours complotant, toujours médisant, toujours mêlées à toutes sortes d’intrigues, confites en flatteries, gonflées de fiel et de jalouses fureurs, impatronisées chez les autres en dépit de toute résistance, de tout mauvais procédé, de toute insinuation fâcheuse, et, comme le ver au cœur du fruit, insectes immondes au cœur des familles, rongeant et gâtant à plaisir les plus belles.

À cette classe appartenait Tabitha, plus familièrement appelée Tib. Assez généralement connue pour n’être plus admise que dans un fort petit nombre de maisons respectables, elle s’était maintenue à Glencarrick à force de souplesse et de complaisance pour l’altière humeur de lady Macfarren. En outre, elle se rendait utile, indispensable même, par les menus soins auxquels elle avait habitué le pauvre malade dont on y cultivait l’héritage. Tib était si bonne ! Tib faisait tout ce qu’on voulait ; elle jouait au piano vingt reels de suite, s’ils étaient nécessaires ; manquait-il un vis-à-vis ? elle figurait à la contredanse ; elle avait des