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devoirs envers vous. C’est la vérité, la vérité devant lui, chère Eleanor ! »

Bien évidemment, David Stuart n’avait pas soupçonné qu’il pût faire appel, dans cette suprême invocation, à un sentiment plus tendre que celui d’une longue et familière amitié, car au nombre de ses plus vifs remords il comptait celui d’avoir enlevé à sa pupille le droit d’obéir à son cœur en épousant l’inconnu sans fortune préféré par elle à sir Stephen. En toute humilité, sans invoquer une autorité qu’il sentait avoir perdue, il lui conseillait d’oublier ce rêve de jeunesse, il l’engageait à ne pas rejeter les vœux du riche baronnet… Ce testament de mort annonçait que l’infortuné ne comptait pas survivre à sa honte. Effectivement, on l’avait vu au point du jour traverser le parc, et marcher seul dans la direction du bureau de poste le plus voisin ; mais le long de sa route coulait la Linn impétueuse, et sur les bords de cette rivière, accroché à un arbre dont les rameaux noircis surplombaient les eaux bouillonnantes, on trouva un mouchoir de soie en lambeaux qui fut reconnu par le vieux domestique de David pour avoir appartenu à son maître.

De celui-ci, d’ailleurs, aucunes nouvelles. Son corps ne fut pas découvert ; — néanmoins sa mort parut certaine. Eleanor ne versa point d’abondantes larmes ; mais elle se relevait chaque nuit, et priait pour l’homme qui l’avait ruinée. Au surplus, le secret qu’il avait ignoré, nul n’en reçut la confidence. Il resta entre elle et Dieu, seul témoin, seul consolateur de ses angoisses. Godfrey Marsden, toujours le même, toujours fidèle à ses principes de rigoureuse droiture, crut devoir restituer à la fille de sir John Raymond les dix mille livres que celui-ci lui avait léguées alors qu’il supposait son unique héritière en possession d’une brillante fortune. — Ce sacrifice, dit-il à Eleanor, je le fais autant à notre mère qu’à vous, et je compte que mon exemple ne sera point perdu… Vous pouvez assurer à lady Raymond une situation que ne lui rendrait pas la modique fortune dont je me dessaisis à votre profit…

Eleanor écoutait sans comprendre.

— … Sir Stephen Penrhyn consent à vous épouser, malgré, votre ruine…

Eleanor tressaillit et allait parler.

— Non !… ne répondez pas encore, ajouta brusquement son frère. Songez à la santé détruite de notre mère ; songez à sa pauvreté, qui est en partie votre ouvrage, puisque votre entêtement pour votre misérable tuteur n’a pas peu contribué à faire négliger mes conseils, justifiés aujourd’hui par l’événement. Prenez le temps de délibérer avec vous-même, et je suis certain que vous consentirez.

Marsden n’avait pas trop compté sur le dévouement de sa soeur. Il