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plus seule à le défendre, à justifier sa conduite, à reconnaître hautement les obligations que son zèle et son désintéressement avaient imposées à lady Raymond.

Après tout, quand la jeune héritière, dans le secret de son naissant amour, se comparait à sa brillante rivale, elle trouvait de quoi se rassurer. Pour se consacrer à elle, David Stuart avait refusé les offres brillantes du gouverneur des Indes, qui voulait se l’attacher comme secrétaire. Plus récemment encore, le duc de Lanark, le frère de lady Margaret, lui avait proposé la régie de ses immenses domaines avec des appointemens élevés, et, plutôt que de la quitter, il avait écarté cette chance de fortune. La supériorité même de celle qui semblait appelée à lui disputer le cœur de David n’était-elle pas compensée par la différence d’âge, qui, au dire de Stuart lui-même, expliquait cette supériorité ? Une femme de vingt-quatre ans, encore dans tout l’éclat de sa beauté, forte de l’usage qu’elle en sait faire, éclipse aisément une enfant que seize printemps n’ont pas encore développée ; mais celle-ci a l’avenir pour gage de victoire, l’avenir que celle-là doit commencer à craindre. Eleanor d’ailleurs était belle. Vainement, dans les salons de Londres, où elle venait de se produire, les femmes lui reprochaient-elles de manquer de teint,-vainement quelques connaisseurs en beauté la trouvaient-ils trop grande, et quelques danseurs de profession tant soit peu gauche ; — sa pâleur, sa taille élancée, le doux incarnat de ses lèvres, les reflets de sa chevelure luxuriante, l’expression passionnée de ses magnifiques yeux bruns, ne la classaient pas moins, pour les appréciateurs délicats, parmi les types ravissans de cette élégance classique dont le mot de nymphe réveille naturellement l’idée, en rappelant à la mémoire charmée les chefs-d’œuvre de l’art grec ou romain, les bas-reliefs de l’Attique, les fresques de Pompéi. Dans une soirée à la mode, on eût dit une statue placée, immobile et blanche, parmi les massifs brillans et bariolés d’un opulent parterre.

Comment sir Stephen Penrhyn put être touché de cette grace virginale, de cette beauté frêle et décolorée, c’est ce qu’il n’est pas facile de comprendre. Riche parmi les riches, on aurait pu croire qu’il voulait, comme tant d’autres prétendans à la main de miss Raymond, unir deux dots d’égale importance, accorder deux chiffres imposans, se donner le mérite et la gloire d’une formidable addition. Rien de tout cela n’était vrai. Dans cette organisation violente, à peine domptée par une éducation d’ailleurs incomplète, la nature avait glissé, probablement par hasard, un penchant inexplicable pour ce qu’elle sait créer de plus doux, de plus élevé, de plus angélique. Ainsi se joue-t-elle quelquefois en ses caprices, soumettant l’athlète le plus brutal au mol ascendant de la faiblesse la plus désarmée. Sir Stephen, ce coureur de renards, ce cavalier indomptable, aux muscles de fer, au cœur de lion, se sentit