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pas un mot et avança le menton ; c’était son geste quand il était contrarié et ne voulait pas répondre. Le lendemain, le ministère donna sa démission.

Que ces scènes ardentes et grandioses sont loin de nous ! Six années ont passé depuis, et les deux principaux champions dans ce mémorable duel d’un ministère contre son parti ont disparu. Sir Robert Peel et lord George Bentinck sont morts ; mais le parti tory est resté, et le second de lord George Bentinck, M. Disraeli, a aujourd’hui la fortune et l’honneur de participer au succès du parti politique qu’on méprisait tant à la fin de 1845.

Je me suis proposé, dans les pages qui précèdent, de rendre compte des intérêts, des idées et des passions qui ont réorganisé le parti tory dans une crise où il a failli périr. Je n’ai pas eu la prétention de juger le grand homme qui provoqua cette crise. Sir Robert Peel a confié en mourant à deux de ses amis, sir James Graham et M. Goulburn, ses papiers politiques et le soin de donner au public ses mémoires et l’histoire de sa vie. Lorsque ses exécuteurs politiques auront acquitté son legs à l’histoire, j’espère pouvoir apprécier avec le scrupule, le respect et l’admiration qu’on lui doit, cette grande figure contemporaine. Si l’on m’accusait d’avoir pris parti contre lui dans l’acte qui mit fin à sa carrière politique, s’il m’était arrivé de heurter trop brusquement le jugement favorable qui a été porté, surtout à l’étranger, sur les derniers actes politiques de sir Robert Peel, je répondrais que ceux qui ne le jugent que par son dernier revirement sont précisément ceux qui méconnaissent la vraie gloire de cet éminent homme d’état. La carrière de sir Robert Peel embrasse les trente années qui se sont écoulées de 1815 à 1846 ; ne compter dans une vie publique si remplie que la dernière année, celle qui dément les autres, est-ce équitable et raisonnable ? Savez-vous où est la gloire de sir Robert Peel ? Sa carrière a coïncidé avec une époque qui aura un caractère original et grand dans l’histoire d’Angleterre. Depuis 1815, l’Angleterre a pratiqué avec une application et une intelligence admirables la politique de la paix. D’un côté, elle a travaillé à rajuster ses vieilles institutions, sans les briser, aux mœurs et aux idées du temps par des réformes politiques telles que l’émancipation des catholiques et la réforme parlementaire ; d’un autre côté, et ce fut surtout le trait saillant de cette époque, elle a approprié son système financier à la nature, aux besoins, à l’élan des grands groupes d’intérêts qui concourent à sa prospérité matérielle et à sa puissance. Sir Robert Peel a trouvé dans ce double travail l’heureux et puissant usage de ses facultés ; mais peut-être, et ce n’est pas sa faute, est-il allé trop loin et ne s’est-il pas arrêté à temps. Sir Robert Peel, en sacrifiant un intérêt politique aussi élevé que l’unité et la perpétuité de son parti à ce qu’il croyait être