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semaines aussi complètement maître du Customs’ tariff qu’il l’avait été du Stud-Book. Aussi, bien qu’il eût refusé d’abord le poste de leader, il l’occupa de fait tout de suire. Il travaillait dix-huit heures par jour ; il était des premiers arrivés à la chambre des communes, prenait une part active et dirigeante aux travaux minutieux des comités, restait à son banc, excitant, encourageant ses amis, épiant ses adversaires, intervenant dans la lutte presque chaque soir pour l’attaque ou pour la riposte, et cela pendant ces longues séances de la chambre des communes qui se prolongeaient au-delà de minuit, et quelquefois jusqu’à quatre heures du matin. En sortant de la chambre, lord George Bentinck soupait ; c’était le seul repas qu’il fît de la journée, car pour conserver l’agilité d’esprit qui lui était nécessaire, et pour lutter contre un penchant léthargique de son tempérament, il se condamnait au jeûne. Voilà l’existence dans laquelle cet homme, habitué pendant quinze ans aux sains et mâles exercices, à l’activité en plein air de la vie de sport, se cloîtra par dévouaient à la mission qu’il s’était donnée. Lord George Bentinck leader d’un parti, ce fut un miracle d’énergie morale et de volonté.

Comme le mobile de lord George Bentinck n’était pas l’ambition, il faut bien reconnaître qu’il y avait un fondement essentiellement juste dans le sentiment passionné qui le souleva et le soutint contre la nouvelle politique de sir Robert. Je ne veux pas entrer dans la question économique débattue entre sir Robert Peel et son parti. Le libre échange est-il plus conforme à la vérité économique que le principe de la protection ménagée avec discernement et à propos ? Dans la situation particulière où se trouvait, en 1846, l’industrie manufacturière d’Angleterre, a-t-il été utile de sacrifier l’intérêt agricole à l’intérêt manufacturier ? Ces controverses ne sont point encore terminées en Angleterre même, puisque, six ans après les réformes de sir Robert Peel, nous assistons à l’avènement d’un ministère protectioniste, et peut-être ne sont-elles point de la compétence d’un étranger. Mais il est au pouvoir d’un étranger d’apprécier les considérations politiques sur lesquelles était fondée l’opposition de lord George Bentinck et des tories. Les conservateurs prétendaient qu’en détruisant la protection agricole, sir Robert Peel faisait trois choses révolutionnaires : en premier lieu, il opérait un déplacement de richesse, de travail, et par suite d’influence politique dans la société anglaise ; en second lieu, il donnait le mauvais exemple d’un gouvernement conservateur capitulant devant une agitation démocratique ; en troisième lieu, il brisait les liens de parti, et affaiblissait le principe du gouvernement parlementaire. Que l’abolition des corn-laws ait entraîné un déplacement de richesse et de travail, cela est aujourd’hui établi par les faits ; il ne faut pas connaître de propriétaires anglais pour ignorer la diminution