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peut être consciencieux ; mais j’ajoute qu’il a bien du malheur. Je dirai aussi qu’il est le dernier homme au monde qui ait le droit de se retourner vers son parti pour le tancer d’un air d’importance. Je trouve difficilement dans l’histoire un exemple qui se puisse appliquer à la situation du très honorable gentleman. Le seul que j’aperçoive est un incident de la dernière guerre du Levant, qui fut terminée par la politique du noble lord (lord Palmerston). Lorsque cette grande lutte s’engagea, l’existence tout entière de l’empire turc étant enjeu, le dernier sultan, homme très énergique, résolut d’armer une flotte immense. Les équipages furent composés d’hommes d’élite, les officiers étaient les plus habiles qu’on eût pu se procurer, et tous, officiers et matelots, furent récompensés avant de se battre. (Rires.) Jamais armement semblable n’avait quitté les Dardanelles depuis le temps de Soliman-le-Grand. Le sultan assista en personne au départ de la flotte ; les muphtis prièrent pour l’expédition, comme tous les muphtis prièrent chez nous pour le succès des dernières élections générales. La flotte partit ; mais quelle fut la consternation du sultan, lorsqu’il vit le grand-amiral entrer tout d’un coup dans le port de l’ennemi ! (Éclats de rire et applaudissemens.) Le grand-amiral, dans cette circonstance, fut beaucoup calomnié ! (Rires et applaudissemens.) Lui aussi fut appelé traître, et lui aussi se défendit. « Il est vrai, dit-il, que je me suis placé à la tête de cette grande armada, il est vrai que mon souverain m’a embrassé, et que tous les muphtis ont prié pour l’expédition ; mais j’avais des objections à la guerre (rires), — je ne voyais pas d’utilité à prolonger la lutte, et ma seule raison pour accepter le commandement fut de me procurer le moyen de terminer le différend en trahissant mon maître. »

Il y eut après ces paroles une explosion d’applaudissemens. La douleur, l’humiliation, la colère des tories, trouvaient enfin une issue. Les mouvemens passionnés, le tumulte des encouragemens et des éclats de rire, débordèrent dans l’assemblée, naguère sombre et engourdie, et ne cessèrent d’accompagner l’orateur. Celui-ci continua son exécution. Il montra sir Robert Peel cédant, en 1846, à l’agitation provoquée par l’école de Manchester, comme il avait cédé, en 1829, à l’agitation catholique conduite par O’Connell. Il montra sir Robert Peel arrivant au pouvoir par l’appui de son parti, puis, faute de convictions personnelles, rompant les liens et les devoirs qui unissent les chefs aux soldats, se servant du pouvoir au détriment du parti dont il exploitait la docilité, et au profit de ses anciens adversaires, auxquels il empruntait toujours leurs doctrines. « Quant à moi, s’écriait-il, je me fais une idée différente d’un grand homme d’état. J’appelle grand homme d’état un homme qui représente une grande pensée, une pensée qu’il personnifie en lui, qu’il peut et doit faire pénétrer dans l’esprit d’un grand peuple, et par le triomphe de laquelle il peut monter au pouvoir ; mais