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prophète. Il partit aussitôt pour Londres, afin d’aider de sa personne à l’accomplissement de sa prédiction.

Mais, tout seul, M. Disraeli eût été un adversaire peu redouté : sa verve vengeresse eût à peine effleuré sir Robert Peel. Pour rallier le parti tory, il fallait un homme qui, à la force du talent, à l’énergie du caractère et à l’ardeur du dévouement, joignît l’influence acceptée d’une grande position aristocratique. Cet homme se rencontra où le ministère s’attendait le moins à le voir paraître : ce fut lord George Bentinck.

Le futur athlète siégeait depuis dix-huit ans en silence dans la chambre des communes. Fils cadet du duc de Portland, lord George descendait du Hollandais Bentinck, le confident et le compagnon de Guillaume III, dont Saint-Simon nous a raconté l’ambassade auprès de Louis XIV, et qui fonda en Angleterre une de ces grandes maisons aristocratiques unies de fortune et de puissance à l’œuvre de la révolution de 1688. Lord George Bentinck fut, tout jeune, secrétaire particulier de Canning, lequel avait épousé une sœur de la duchesse de Portland. On ne pouvait commencer à meilleure école une carrière publique. Lord George avait aussi remplacé, à la chambre des communes, dans la représentation du bourg de King’s-Lynn, son oncle, lord William Bentinck, ancien gouverneur-général de l’Inde. Ces débuts promettaient. Cependant, soit que la mort prématurée de Canning l’eût dégoûté de la politique, ou que ses inclinations le portassent ailleurs, il quitta cette voie. Il suivit quelque temps la profession des armes ; puis, tout en conservant sa place au parlement, il absorba sa vie dans les passe-temps nationaux et les ardens hasards du turf. Il avait le plus beau haras de l’Angleterre ; il était le plus hardi et le plus heureux parieur ; il régnait sur le monde des courses. La chambre, où il était peu assidu, était pour lui comme un club dont un homme de la société ne peut se dispenser de faire partie. Il n’y venait guère que les jours où un vote devait décider du sort d’un cabinet. Dans ces occasions-là, on le voyait arriver le soir fort tard, quelques instans avant la division, couvert d’un paletot blanc, sous lequel débordait sa veste de chasse rouge. Il possédait néanmoins une influence personnelle considérable dans l’assemblée. Les sporting men y sont très nombreux ; lord George avait parmi eux beaucoup de compagnons et d’amis qui reconnaissaient sa supériorité et lui témoignaient une déférence marquée. Tout annonçait en effet, dans Bentinck, l’homme d’action et de commandement : vivacité d’intelligence, netteté de jugement, promptitude de décision, franchise et droiture de cœur, ténacité d’opinion, audace d’esprit, ferveur dans l’amitié et dans la haine. Les traits et l’aspect de sa personne étaient la fidèle expression de cette énergique et fière nature. Il était grand et de haute mine ; il avait le front élevé