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d’un parti ; il était devenu l’homme de l’Angleterre et de la nécessité. Au contraire, les conservateurs avaient tout contre eux. En abandonnant leur politique commerciale, sir Robert Peel et ses collègues, l’élite du parti, les dénonçaient au public comme les ridicules sectateurs de préjugés absurdes et de routines surannées. Ils n’avaient pas d’orateurs accrédités qui pussent les défendre, car tout ce qu’ils avaient produit d’hommes distingués, expérimentés, rompus aux affaires, éloquens, étaient arrivés au pouvoir avec sir Robert Peel et l’avaient suivi dans sa défection. Des anciens ministres, le seul qui leur fût resté fidèle était lord Stanley, le premier, il est vrai, des debaters anglais, celui que sir E. Bulwer Litton a si bien nommé le prince Rupert de la discussion ; mais sir Robert Peel l’avait prudemment emballé dans la chambre des lords, écartant ainsi de la chambre des communes, la seule arène des luttes parlementaires, le seul adversaire qu’il eût pu y redouter. Les conservateurs n’étaient pas davantage organisés pour la résistance ou pour l’attaque, car une majorité représentée au pouvoir par ses chefs renonce aux habitudes militantes des oppositions, et abdique son initiative entre les mains du gouvernement auquel elle a confié toutes ses forces offensives et défensives. Aussi, la situation des tories qu’on supposait hostiles à la nouvelle politique du ministre n’était qu’un objet de raillerie pour les free traders. M. Cobden, dans les derniers meetings de la ligue, leur prêchait d’un ton moqueur la résignation. On riait d’avance de la figure qu’allaient faire ces pauvres country-gentlemen, battus, dans la propre chambre où ils étaient entrés en vainqueurs, par les propres ministres qu’ils avaient hissés au pouvoir. Les ministres étaient les premiers à se rire de leurs impuissantes colères. « Nous n’aurons affaire, disait dédaigneusement l’un d’eux à un spirituel diplomate, qu’à une opposition de bœufs gras ; les protectionistes ne seront pas capables de soutenir le débat pendant deux séances. »

Deux hommes pourtant assistaient alors avec indignation au revirement politique de sir Robert Peel, et méditaient obscurément pour leur parti une vengeance éclatante ; l’un était M. Disraeli, l’autre lord George Bentinck.

Mentionner d’abord M. Disraeli, c’est remplir une lacune qu’il a laissée dans le livre qu’il vient de publier, en s’effaçant avec un excès de réserve derrière la vive figure de lord George Bentinck. M. Disraeli était un des rares membres du parti tory que le changement de sir Robert Peel ne surprenait point. Il avait rompu depuis deux ans avec le premier ministre. Coningsby, le roman-pamphlet publié avec un immense succès en 1844, était une véhémente satire non-seulement de la politique, mais du tempérament de sir Robert. Personne n’avait fait une étude plus attentive du caractère et de l’esprit du grand homme d’état, personne n’en avait saisi avec une perception plus pénétrante les côtés faibles, personne n’avait encore touché ses défauts de traits