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L’opinion effrayée de la perspective de la disette concentrait son anxiété et ses inquiétudes sur cette question : — que fera le gouvernement ? Que le ministère fût vivement ému de la crise alimentaire qui s’annonçait, on n’en pouvait- douter ; car, dans les premiers jours de novembre, quatre conseils de cabinet avaient eu lieu en une semaine. Que s’était-il passé dans ces longues délibérations ? On l’ignorait. Les ministres s’étaient séparés sans rien laisser transpirer de leurs desseins. Lord John Russell saisit l’occasion de cette inaction apparente de sir Robert Peel pour frapper un coup décisif et tenter de relever la popularité et la fortune du parti whig. Il était alors à Édimbourg, et de là, sans consulter ses amis, usant avec une audacieuse promptitude des prérogatives extrêmes d’un chef de parti, il lança sous la forme d’une lettre à ses commettans, les électeurs de la cité de Londres, un manifeste où il réclamait impérieusement l’abolition immédiate et définitive de toute loi restrictive de l’importation des céréales. La lettre de lord John Russell était datée du 22 novembre. Sir Robert Peel se hâte de convoquer le cabinet. Le même mystère continuait à voiler les intentions du conseil, lorsque tout à coup, le 6 décembre, on apprend la démission du ministère. Le 8, la reine fait appeler lord John Russell, qui était encore à Édimbourg. Lord John arrive le 11, accepte avec sa hardiesse habituelle la mission qui lui est offerte de former un cabinet. Pendant huit jours, il négocie ; mais, ne pouvant surmonter la répugnance de quelques-uns de ses amis à subir lord Palmerston pour collègue, il finit par renoncer à sa tentative. La reine rappelle alors sir Robert Peel, lequel reprend le pouvoir avec tous ses anciens collègues, — moins un seul, lord Stanley, ministre des colonies dans le précédent ministère, le nième qui est aujourd’hui premier ministre sous le nom de lord Derby.

Parmi ces mouvemens extraordinaires qui tenaient en suspens l’Angleterre et l’Europe, voici ce qui s’était passé :

En convoquant le cabinet le 1er novembre 1845, sir Robert Peel appela son attention sur la nécessité de prendre des mesures immédiates pour faire face à la disette qui s’annonçait, et pourvoir particulièrement à la détresse de l’Irlande, où sévissait la maladie des pommes de terre. Suivant lui, deux voies s’ouvraient au gouvernement : ou décréter par un ordre en conseil la suspension de la loi restrictive de l’importation des céréales, ou convoquer le parlement dans quinze jours pour lui proposer cette suspension. Sir Robert Peel ajouta que la première solution lui paraissait préférable, et qu’il était prêt à en assumer sur lui la responsabilité ; il avoua d’ailleurs à ses collègues que ses idées sur les principes de la politique commerciale de l’Angleterre étaient changées, qu’il renonçait au système protecteur, et se ralliait à la liberté du commerce ; il conclut donc en exprimant l’opinion