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de difficultés dans la politique intérieure. Le système qu’il avait appliqué à l’Irlande avait réussi. Ce système avait été à la fois ferme et libéral : d’un côté, il avait réprimé l’agitation du rappel en faisant condamner O’Connell par le jury ; de l’autre, il avait donné une satisfaction aux catholiques en dotant le séminaire de Maynooth. Sa position vis-à-vis de l’étranger augmentait sa puissance et son prestige. L’avènement de sir Robert Peel en 1841 avait été salué par les gouvernemens conservateurs du continent comme finissant l’ère des agitations révolutionnaires qui travaillaient l’Europe depuis 1830. Sir Robert Peel en Angleterre, le prince de Metternich en Autriche, le roi Louis-Philippe en France, se donnaient la main pour consolider l’ordre européen. Ces hommes illustres se rapprochaient par de frappantes analogies de lumières, d’expérience, de sagesse et de modération. Ils étaient les uns pour les autres une garantie mutuelle, et leur autorité, dans leurs pays respectifs, ne semblait devoir finir qu’avec leur vie. Telle était la situation de sir Robert Peel à la fin de la session de 1845. Tout à coup un accident fit broncher sa politique et crouler les combinaisons et les espérances qui s’y appuyaient.

La menace de mauvaise récolte qui éclata sur l’Angleterre à l’automne de 1845, commença en effet cette série d’accidens dont la politique de l’Europe a été le jouet jusqu’à ce jour. La crainte de ce fléau rompit l’équilibre que sir Robert Peel avait si heureusement établi entre les grands groupes d’intérêts qui se partagent l’Angleterre. Un tarif protecteur restreignait la libre importation des céréales dans le Royaume-Uni. C’était justement cette loi protectrice qui délimitait depuis quatre ans les partis dans le parlement et dans le pays. D’un côté, les whigs, unis aux économistes et aux grands manufacturiers, combattaient la loi des céréales. Dans les derniers temps, ils avaient été secondés par une association colossale qui avait à Manchester son ardent foyer, et dont le meneur, un fabricant devenu membre de la chambre des communes, M. Cobden, avait fait rayonner les principes dans ses prédications véhémentes. Cette ligue contre la loi des céréales allait pourtant se dissoudre, faute de fonds, au moment où la peur de la famine vint lui fournir le plus puissant des argumens et un moyen d’influence irrésistible sur l’imagination populaire. De l’autre côté étaient les propriétaires du sol, les fermiers et tout le parti conservateur. Les élections de 1841 s’étaient faites sur la question de la libre importation du blé. Les whigs y avaient arboré le drapeau de la liberté du commerce ; les tories, par l’organe de sir Robert et de ses collègues du ministère, avaient pris la protection pour devise. Or, l’immense majorité du pays s’était prononcée en faveur de la protection et des tories, et à la victoire des tories sir Robert Peel devait le pouvoir qu’il occupait avec tant d’autorité et de bonheur depuis quatre ans.