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n’offrent pas, tant s’en faut, même cet avantage aux lecteurs étrangers, tout en s’emparant, sans bourse délier, du travail et des œuvres des autres. En publiant une contrefaçon de la Revue des Deux Mondes, ils n’ont pourtant à supporter aucuns premiers frais d’établissement, ni dépenses de rédaction et de corrections, ni souci de travaux à faire ou à inspirer, de notes et documens à récrire ou à écarter ; ils en seraient certes, — ces mornes parasites des lettres, — bien incapables : chose qui met à nu mieux que tous les raisonnemens la moralité de leur industrie, car si les réimprimeurs Cans et Meline peuvent être des écrivains, s’ils sont capables de diriger une revue, pourquoi ne prennent-ils pas à Bruxelles ce rôle périlleux et difficile ? Pourquoi ne viennent-ils même pas l’essayer à Paris ? Il est plus facile de se poster à la frontière pour guetter sa proie au passage ! — Malgré tous ces frais, malgré tous ces soins dispendieux de moins[1], la contrefaçon des réimprimeurs Cans et Meline, d’une exécution déplorable, coûte aussi cher que notre petite édition originale, qu’on trouve chez MM. Michelsen et Twietmeyer à Leipzig, et qui contient les cartes et les portraits originaux. Les contrefacteurs Cans et Meline ne l’ignorent pas, car un grand nombre de leurs souscripteurs ont eu le bon esprit de quitter la contrefaçon pour recevoir l’édition originale. Dans leur propre pays, en Belgique même, où cette édition est envoyée seulement depuis le 1er janvier 1852, la contrefaçon s’est vue aussi abandonnée par une grande partie de ses lecteurs. C’est qu’en Belgique on connaît mieux encore qu’en Allemagne les retards et l’infériorité de la contrefaçon, et qu’on sait également que celle-ci touche à son heure suprême.

Les contrefacteurs Cans et Meline annoncent encore (que n’annoncent-ils pas !) que la contrefaçon fonctionne et fonctionnera en vertu d’un droit international, et qu’elle dédaigne de répondre aux attaques violentes des auteurs et des éditeurs français. — Voyez notre audace, voyez notre violence d’oser défendre notre bien ! — Il paraît que l’arme favorite de la contrefaçon est toujours le contrepied de la vérité, le contraire de l’état réel des choses. Jamais ce prétendu droit international de la contrefaçon n’a été admis en principe dans le code d’aucun peuple ; le droit opposé est même déjà écrit dans les lois de la plupart des pays civilisés, et le contrefacteur Cans, en sa qualité de législateur, ne peut ignorer que tous les gouvernemens, depuis deux années, ont négocié ou négocient pour faire reconnaître le droit de la propriété littéraire, que ce droit aujourd’hui est notamment admis par l’Angleterre, par la France, l’Espagne, le Portugal, le Hanovre et la Sardaigne, que maintenant même le gouvernement belge négocie avec le gouvernement français la reconnaissance des droits sacrés du travail intellectuel, pour effacer du sol de la Belgique une industrie qui lui pèse, qui lui suscite et peut lui susciter encore plus d’un embarras, qui ne l’honore guère d’ailleurs et l’enrichit encore moins. Les malheureux actionnaires des sociétés de contrefaçon, ceux de la société Cans et Meline entre autres, ne le savent que trop, eux qui ne sont guère moins à plaindre que l’écrivain que l’on prétend réimprimer à leur profit ! Nos maîtres-pirates savent aussi parfaitement, de leur côté, que la contrefaçon est condamnée en Belgique même par le gouvernement et par les chambres, comme par tous les hommes bien placés dans l’opinion et respectés dans le pays, et qu’elle devra disparaître avant la fin

  1. Ces premiers frais seuls vont à plus de 100,000 fr. par an.