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Ou je suis bien étrangement abusé par le charme qu’a laissé dans ma mémoire une vie qui me sera toujours chère, ou bien il y a dans ces vers ce que l’intelligence de la nature a de plus noble et ce que l’amour a de plus passionné.

Et qui rendra plus fièrement cette chevalerie à laquelle sont soumises encore les mœurs arabes que cette autre strophe sortie aussi toute vivante des souvenirs du Chambi :

Mon coursier devient rétif devant ma tente ;
Il a vu la maîtresse des bagues prête à partir.
C’est aujourd’hui que nous devons mourir
Pour les femmes de la tribu.

Tous ceux qui ont assisté à quelques combats en Afrique savent le rôle que jouent les femmes dans toutes les scènes guerrières. C’est pour elles que parle la poudre. La réponse de tous les chefs aux ouvertures de paix qui leur sont faites, c’est : « Que diraient nos femmes, si nous ne nous battions pas ? Elles ne voudraient plus nous préparer le couscoussou. » C’est une grande erreur de croire que l’islamisme maintient la femme dans un état d’abjection d’où pourraient seuls la tirer les miracles de la foi chrétienne. La femme musulmane, au contraire, a conservé chez des hommes que sa parole précipite dans les combats ce prestige qu’avaient les reines des tournois aux jours amoureux et guerriers du moyen-âge.

Le Chambi parvint à nous réciter un chant complet, où la femme est en même temps célébrée avec un sentiment profond de tendresse morale et ces emportemens de passion sensuelle, ce luxe d’ardentes images qui, depuis le Cantique des Cantiques, éclatent en Orient dans toutes les odes à l’amour :

Ma sœur[1] ne peut se comparer qu’à une jument entraînée
Qui marche toujours aux arrière-gardes,
Avec une selle étincelante d’or,
Montée par un gracieux cavalier
Qui sait s’incliner en courant,
Quand résonne le bruit de la poudre.
Ma sœur ressemble à une jeune chamelle
Qui revient du Tell au milieu de ses compagnes,
Chargée d’étoffes précieuses.
Ses cheveux tombent sur ses épaules,
Et ont la finesse de la soie ;
Ce sont les plumes noires de l’autruche mâle,
Quand il surveille ses petits dans le Sahara.
Ses sourcils, ce sont le noûn[2]
Que l’on trouve aux pages du Koran ;
Ses dents ressemblent à l’ivoire poli ;
Ses lèvres sont teintes avec du kermesse.
Sa poitrine, c’est la neige

  1. Les Arabes, dans leur poésie, désignent sous ce nom leurs maîtresses.
  2. Noûn, lettre de l’alphabet arabe qui affecte la forme d’un arc.