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REVUE. — CHRONIQUE.

À côté de la société des concerts marche d’un pas triomphant celle de Sainte-Cécile, fondée et dirigée par M. Seghers avec une habileté remarquable. M. Seghers possède quelques-unes des qualités essentielles à un bon chef d’orchestre ; il possède l’initiative de l’esprit qui cherche et devine, la passion qui s’exagère parfois le mérite d’une œuvre, et la persévérance qui surmonte les plus grands obstacles. Dans le concert que la société de Sainte-Cécile a donné le 4 janvier, concert qui était entièrement consacré à l’interprétation d’œuvres inconnues de jeunes compositeurs qui cherchent à s’ouvrir une porte dans la carrière, on a entendu une ouverture d’Hamlet de M. Stadtfeld, morceau un peu confus et contenant plus d’effets de sonorité que de véritables idées musicales ; un chœur pastoral, avec accompagnement de hautbois, de la composition de M. Vervotte, plein de grace et fort bien accompagné, et surtout un Benedictus de M. Gounod, d’un style sévère et très élevé. Dans une autre séance, la société de Sainte-Cécile a exécuté plusieurs fragmens d’un opéra de Schubert, Rosemonde, qui sont dignes de ce grand mélodiste, car il ne faut pas oublier que Schubert était un compositeur qui marchait à la suite de Beethoven, de Weber et de Mendelssohn. Dans ce groupe de musiciens novateurs qui forment la nouvelle école allemande, et qui se qualifiaient eux-mêmes d’école romantique, Schubert occupe un rang très distingué. Après les fragmens de Rosemonde, on a chanté la berceuse de Blanche de Provence, de Cherubini, morceau délicieux, d’un caractère suave et supérieurement accompagné.

P. Scudo.




LE CHAMBI[1] À PARIS.

Tandis que la poésie est chez nous le don d’un petit nombre, le privilège de quelques esprits, une fleur exquise et rare qui n’appartient qu’à une certaine espèce de sol, chez les Arabes elle est partout ; elle anime à la fois, dans le pays par excellence de l’espace, du soleil et du danger, les spectacles de la nature et les scènes de la vie humaine. C’est un trésor auquel tous viennent puiser, depuis le pasteur dont les troupeaux disputent à un sol brûlant quelque touffe d’herbe flétrie jusqu’au maître de la grande tente qui galope, au milieu de goums bruyans, sur un cheval richement harnaché.

Tel est le fait dont se sont pénétrés tous ceux qui ont long-temps vécu, comme moi, de la vie arabe. Les officiers qui en sont encore à leur apprentissage des mœurs africaines croient souvent à une certaine exagération dans ce qu’ils ont tant de fois entendu répéter sur la poésie orientale. Ils craignent de subir aveuglément une opinion toute faite, de se laisser imposer ce qu’on appelle, je crois, le convenu dans le langage des artistes. J’avais remarqué ces dispositions chez un officier de spahis, qui me permettra de le mettre en scène dans un intérêt de vérité. M. de Molènes, dont le nom tout militaire aujourd’hui réveillera peut-être quelques souvenirs littéraires chez les lecteurs de ce recueil, contestait, dans mon cabinet, un matin, les dons poétiques du peuple arabe, quand notre entretien fut interrompu par une visite d’une nature insolite et inattendue. Le personnage qui s’offrait à notre vue portait le bernous et le haïch.

  1. Membre de la grande tribu des Chambas, dans le Sahara.