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plus étrange, le plus cynique même. Au moment où il venait d’accomplir son crime, on ne comptait pas un battement de plus à son pouls, et tandis que les hallebardiers qui l’avaient saisi lui faisaient presser le pas : « Patience ! répondait-il, un homme de soixante-trois ans peut bien tuer une reine, mais il ne peut pas aller plus vite. » Merino a conservé le même insolent cynisme pendant la solennité religieuse de sa dégradation. Les anathèmes de l’église ne l’ont point ému, pas plus que le pardon d’en haut appelé sur lui dans cette dramatique et imposante cérémonie. Il a marché à la mort, toujours impassible, indifférent, sans affectation théâtrale d’ailleurs et sans forfanterie. Quant à des complices, il s’est indigné qu’on pût lui en supposer, prétendant qu’un homme suffisait bien pour tuer une reine, et ajoutant que « douze hommes comme lui délivreraient l’Europe de ses tyrans. »

La justice a atteint ce triste coupable ; mais la justice n’est-elle pas impuissante quelquefois à réparer le mal causé par un tel crime, à effacer le trouble qu’il jette peut-être dans les habitudes d’un peuple ? Jusqu’ici, nulle barrière n’existait entre la reine d’Espagne et la population de Madrid au sein de laquelle elle vivait ; au contraire, c’était comme une noble familiarité. Il reste à se demander quel changement peut jeter dans ces mœurs le soin d’une préservation nécessaire. Nous ne voulons point assurément attribuer un crime aussi odieux à un parti politique ; il n’est pas d’ailleurs de parti en Espagne qui pousse à ce point la haine de la monarchie, et quant à la reine Isabelle, d’où pourrait venir la haine contre elle ? Merino reste donc un de ces êtres pervers qui sortent parfois des bas-fonds révolutionnaires au milieu d’une population étonnée, et qui ne sont poussés que par un fanatisme isolé. Nous avons vu jouer ce jeu sanglant du régicide pendant dix-huit ans contre la plus noble vie. L’année dernière, c’était en Prusse ; un peu avant, un attentat du même genre avait eu lieu en Angleterre, et aujourd’hui enfin c’est l’Espagne monarchique qui est atteinte du même fléau. Non, sans doute, ce ne sont point les partis qui engendrent ces crimes ; mais c’est l’action corruptrice et prolongée des révolutions qui finit par altérer le sens moral chez certains êtres jusqu’au point de les armer contre les plus inoffensives souveraines elles-mêmes.

Les chambres hollandaises viennent de reprendre leurs travaux. Un projet d’amortissement de la dette a été à la seconde chambre l’objet d’une discussion importante. Naguère les divergences d’opinion portaient sur la meilleure manière de combler les déficits ; aujourd’hui les avis ont été partagés sur l’usage à faire d’un bon résultant des revenus de services antérieurs et de la vente éventuelle de domaines. La somme à appliquer à l’amortissement en 1852 serait, suivant le projet ministériel, de 3 millions et demi de florins. La situation financière présente quelque analogie avec ce qui s’est produit l’année dernière au sein du parlement anglais. Plusieurs députés ont émis l’opinion que le temps était propice à une nouvelle conversion : telle était la pensée de M. van Hall, qui, en 1844, a présidé avec le plus grand succès à l’exécution d’une pareille mesure. D’autres orateurs, tels que M. Bachiene, ont désiré l’institution d’un établissement efficace d’amortissement de la dette, qui, selon eux, ne préjudicierait en rien à une conversion éventuelle. Au milieu de ces opinions contradictoires, une question est venue rendre assez probable une modification ministérielle. M. de Man et quelques autres députés ont présenté un amendement