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à ce long spectacle de fautes et de malheurs, et d’en retirer surtout cet enseignement permanent si éloquemment ressaisi par les deux orateurs : c’est que cette succession de désastres n’est point l’effet d’une fatalité aveugle supérieure, à nos volontés, mais bien la suite nécessaire et invincible de déviations morales accumulées et des corruptions volontaires de la liberté humaine elle-même. M. Guizot et M. de Montalembert se retrouvent aisément dans ce sentiment viril et élevé.

Il y a dans les discours des deux orateurs un point commun où l’intérêt littéraire se dégage sans effort des considérations politiques et morales les plus élevées et apparaît plus distinctement, et ce n’est point trop vraiment qu’il soit un peu question de littérature à l’Académie un jour de réception. Ni M. Guizot, ni M. de Montalembert ne séparent dans leur pensée les destinées littéraires des destinées de la société elle-même. Ils ne se résignent point à reconnaître cet oiseux sophisme qui fait de l’art une sorte de puissance à part, indépendante et capricieuse, jouant étourdiment avec tous les élémens de la civilisation et ayant son développement propre. Une vue plus claire des choses leur révèle l’intime solidarité qui existe toujours entre le mouvement social et le mouvement littéraire. Là où la société est saine et portée par son principe à la grandeur, la pensée se multiplie sans effort, par un élan naturel, et sous toutes les formes, comme la manifestation permanente d’une activité généreuse. Là où la société souffre, où la vérité morale s’obscurcit et où les passions elles-mêmes qui aveuglent les hommes sont artificielles et menteuses, comment pourrait-il fleurir un autre art qu’un art de décadence ? La corruption littéraire, en un mot, marche du même pas que la corruption sociale ; elle en découle, elle s’y mêle et contribue à l’aggraver, jusqu’à ce que le désordre se transforme en impuissance, que la pénurie intellectuelle s’étale dans sa nudité, que l’absence même du talent devienne le signe des œuvres qui continuent de porter le nom de littérature, et qu’il soit manifeste que l’esprit, comme la société, a besoin d’être relevé et sauvé. M. de Montalembert disait l’autre jour spirituellement que ce n’était plus le superflu qu’on avait disputé à la société française, mais bien le nécessaire pour vivre. Rien n’est plus vrai, et il en est de l’ordre intellectuel comme de l’ordre moral. N’est-ce point, en effet, le nécessaire, pour un pays comme la France, de conserver son ascendant intellectuel, de garder intacte cette langue qui a été l’instrument de ses conquêtes morales, et même, si l’on veut, de ne point perdre tout-à-fait cette fleur d’esprit et cette distinction facile, qui ont fait de notre société la plus recherchée, la plus élégante, la plus aristocratique des sociétés envahies par la démocratie ? L’Académie française est parfois le refuge de quelques-unes de ces qualités, en même temps que d’autres qualités plus sévères. Elle est, à tout prendre, la plus naturelle gardienne des traditions intellectuelles, et cela suffit presque aujourd’hui pour en faire plus qu’une institution littéraire. Le meilleur moyen pour l’Académie de maintenir son caractère et d’exercer une utile action, c’est de multiplier les séances comme celle de l’autre jour, et aussi les nominations comme celles qui, hier encore, allaient chercher un des plus charmans esprits de notre temps dans M. Alfred de Musset, et une des plus éclatantes personnifications de l’empire de la parole sur les hommes dans M. Berryer.

Il y a bientôt quinze jours que le parlement anglais est ouvert, et le sort définitif