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toutes les classes de la société, et, au lieu de la justice stricte et légale dont l’égoïsme pharisaïque s’accommode très bien, qu’une justice selon la charité et l’Évangile n’eût pas cessé de régler les rapports des riches et des pauvres. Le seul moyen d’échapper à cette inévitable décadence qui attend l’Angleterre, c’est d’abandonner la lettre et d’en revenir à l’esprit du protestantisme, ou mieux du christianisme, qui nous rendra la santé morale, l’éducation, la vie de famille. Jusqu’à ce que cette régénération soit accomplie, vous pourrez faire toutes les lois des pauvres, toutes les lois relatives au travail des manufactures qu’il vous plaira : cela aboutira à un résultat négatif.

Voilà le langage et les sentimens de M. Charles Kingsley. Très vivement censuré par ses supérieurs l’an dernier même, si nous ne nous trompons, au sujet d’un sermon où il avait soutenu des doctrines peu conformes à l’orthodoxie et à la lettre des dogmes, il se contredit plus d’une fois, et de ses écrits on tirerait aisément des points de vue qui, développés outre mesure, pourraient être dangereux ; mais l’ensemble de ses opinions est d’une parfaite sagesse. Il pourrait d’ailleurs répondre à ses censeurs qu’il n’est point le seul à soutenir les mêmes idées, que les tories protectionistes ou les peelites libéraux les soutiennent tout comme lui le démocrate, que s’il est en guerre avec quelqu’un, c’est à tout prendre avec les détracteurs les plus acharnés de l’état social de l’Angleterre, avec les radicaux et les ambitieux des classes moyennes, avec l’école de Bentham et l’école du laissez-faire, laissez-passer ; car, en réalité, ce socialiste chrétien, comme il s’intitule, est infiniment plus conservateur de l’ordre social actuel de l’Angleterre que M. Cobden et ses amis ; il est plus réellement partisan du patronage aristocratique que le whig le plus aristocratique, et il y a telle de ses paroles qui pourrait être extraite des livres de M. Disraeli et des discours de lord Stanley.

Tel a été, jusqu’à présent, le bonheur de l’Angleterre, que, toutes les fois que des intérêts sont devenus trop menaçans, d’autres intérêts ont surgi tout à coup pour leur barrer le passage et les empêcher de faire invasion et de renverser la constitution établie. L’antagonisme des intérêts s’est ainsi montré conservateur, contrairement à ce qu’il a été chez nous, où toutes les classes se sont successivement culbutées l’une après l’autre, et après avoir voulu régner et régné en effet séparément à l’exclusion des autres. Lorsqu’on parle du socialisme en Angleterre, il ne faut donc pas s’effrayer outre mesure, car ce socialisme est le préservatif de l’aristocratie, — un rempart contre les classes moyennes, — une opposition aux radicaux, — un frein pour les libéraux de toute nuance. — Lorsque M. Cobden, vient vanter les charmes du laissez-faire absolu et la supériorité de l’industrie sur tous les autres élémens de la vie sociale, l’aristocratie lui répond avec l’enquête du Morning Chronicle, et lui montre à quel prix ces splendeurs manufacturières sont achetées. Lorsqu’il exalte l’activité mercantile comme le