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état : une partie gisait éparse sur le lieu du campement, une partie le long du marais, une partie dans l’eau, où nous nous mîmes à la repêcher. La journée s’employa à ce travail et à faire sécher nos effets, que nous rapportions tout trempés. Déjà la tempête avait cessé ; le plus beau soleil brillait au ciel. Nous sellâmes chevaux et mulets, et nous nous rendîmes chez la reine pour la saluer. Elle accueillit bien quelques présens que nous lui offrîmes, savoir : trois coupes d’argent, des toisons teintes en pourpre, du poivre d’Inde, des dattes et des fruits secs dont ces Barbares sont très curieux, parce qu’ils en voient rarement. Après lui avoir exprimé notre reconnaissance pour son hospitalité et nos souhaits, nous prîmes congé d’elle et continuâmes notre voyage. »


Ils marchaient depuis sept jours, quand ils se croisèrent avec une autre ambassade romaine arrivée par un autre chemin : c’était une députation de l’empereur d’Occident Valentinien III au roi des Huns, à propos de certains vases sauvés du pillage de Sirmium ; l’histoire est curieuse et jettera quelques lumières de plus sur cette politique asiatique, où l’opiniâtreté des résolutions servait à en déguiser l’injustice. À l’époque où, contre tout droit, les Huns étaient venus assiéger Sirmium, l’évêque de cette ville, ne prévoyant que trop bien l’issue de la guerre, disposa des vases de son église. Il connaissait un certain Constancius, Gaulois de naissance, alors secrétaire d’Attila et employé aux opérations du siége. Ayant trouvé moyen d’avoir une entrevue avec lui, l’évêque lui remit les vases sacrés : « Si je deviens votre prisonnier, lui dit-il, vous les vendrez pour me racheter ; si je meurs auparavant, vous les vendrez encore, et avec leur prix vous rachèterez d’autres captifs. » Il mourut pendant le siége, et le dépositaire s’appropria le dépôt. Il y avait près de là, par hasard, un prêteur sur gages nommé Sylvanus, lequel tenait une boutique d’argentier ou banquier sur une des places publiques de Rome ; Constancius lui engagea les vases pour une certaine somme qu’il ne paya pas à l’échéance ; le délai expiré, Sylvanus vendit les vases à un évêque d’Italie, ne voulant ni les briser ni les employer à un usage profane. Ces faits vinrent aux oreilles d’Attila au bout de quelque temps. Il commença par faire pendre ou crucifier, suivant sa coutume, le secrétaire infidèle ; puis il réclama, près de l’empereur Valentinien, Sylvanus ou les vases. « Il me faut une chose ou l’autre, écrivait-il ; ces vases m’appartiennent comme ayant été soustraits par l’évêque au butin de la ville ; mon secrétaire les a volés, je l’ai puni ; je demande maintenant le recéleur ou la restitution de mon bien. » Vainement l’empereur répondit que Sylvanus n’était point un recéleur, attendu qu’il avait acheté de bonne foi et que, quant aux vases eux-mêmes, affectés à une destination religieuse, ils ne pourraient pas lui être remis sans profanation ; vainement il offrit d’en paver la valeur en argent : Attila, sourd à toutes les raisons, ne sortait pas de son dilemme : « Mes vases ou le recéleur,