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ce changement de front, ils apprirent aux voyageurs qu’une cérémonie, à laquelle il ne leur était pas permis d’assister, allait se célébrer dans un hameau voisin. Ce n’était pas moins qu’un nouveau mariage du roi : Attila ajoutait à ses innombrables épouses la fille d’un grand du pays, nommé Escam. La contrée que Maximin et sa troupe avaient à traverser était basse et de parcours facile, mais extrêmement marécageuse ; ils durent franchir plusieurs rivières, parmi lesquelles Priscus mentionne la Tiphise, aujourd’hui la Theiss, qui coule au cœur de la Hongrie et se jette dans le Danube entre Semlin et Peterwaradin. Ils passaient les rivières ou les marais profonds au moyen de bateaux emmagasinés dans les villages riverains et que les habitans leur amenaient sur des chariots. Leur nourriture, durant la route, se composa principalement de millet fourni par la population sur la demande des guides, et de deux espèces de boissons fermentées, l’une appelée médos, qui n’était autre chose que de l’hydromel, l’autre fabriquée avec de l’orge et que les Huns nommaient camos[1]. Le voyage ne manqua point d’aventures, les unes pénibles, les autres réjouissantes. En voici une que Priscus raconte avec une gaieté et une naïveté dont nous regretterions de priver nos lecteurs.

« Le jour baissait, dit-il, quand nous plantâmes nos tentes au bord d’un marais dont nous jugeâmes l’eau très potable, parce que les habitans d’un hameau voisin y venaient puiser pour leur usage ; mais nous avions à peine fini notre installation, lorsqu’il s’éleva un vent violent, et une tempête subite, mêlée de foudre et de pluie, balaya pêle-mêle notre tente et nos ustensiles, qui roulèrent jusque dans le marais. Effrayés des tourbillons qui traversaient l’air et du malheur qui venait de nous arriver, nous désertâmes la place à qui mieux mieux, courant chacun au hasard sous des torrens de pluie et par l’obscurité la plus épaisse. Heureusement tous les chemins que nous prîmes conduisaient au village, et en quelques instans nous nous y trouvâmes réunis. Là, nous nous mîmes à pousser de grands cris pour avoir du secours. Notre tapage ne fut pas perdu, car nous vîmes les Huns sortir les uns après les autres de leurs maisons, tous munis de roseaux allumés qu’ils portaient en guise de flambeaux. En réponse à leurs questions, nos guides racontèrent l’événement qui nous avait dispersés, et aussitôt ceux-ci nous engagèrent à entrer dans leurs maisons, jetant d’abord à terre quelques brassées de roseaux dont la flamme servit à nous sécher. Ce village appartenait à une des veuves de Bléda, laquelle, instruite de notre arrivée, nous envoya dans le logement que nous occupions des provisions de bouche et de très belles femmes pour notre usage, ce qui est chez la nation hunnique une marque de grand honneur et de bonne hospitalité. Nous prîmes les vivres et remerciâmes les dames ; puis, accablés de fatigues, nous ne fîmes qu’un somme jusqu’au lendemain. Notre première pensée, au point du jour, fut d’aller faire l’inventaire de notre mobilier ; nous le trouvâmes dans un triste

  1. Coumiss est le nom sous lequel les Tartares désignent le lait de jument fermenté, leur boisson ordinaire. — Meth en allemand, mead en anglais : — hydromel.