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impatiente et le goût fiévreux des aventures poussaient du côté des Barbares, et qui avaient dans le cœur juste assez de loyauté pour trahir fidèlement leur patrie au compte du Barbare qui les payait. Pendant que les Huns occupaient temporairement la Pannonie, il s’était glissé près d’Attila, et celui-ci, flatté d’avoir un agent romain de sa qualité, se l’était attaché comme secrétaire. Le Pannonien mit donc son intelligence et son dévouement au service de l’ennemi le plus redoutable de ses compatriotes et de sa famille. Parmi les Barbares, qui savaient se battre, mais ne savaient que cela, l’intelligence assurait une place importante au Romain, de même qu’au Barbare le courage et la force du bras parmi les Romains, qui ne le savaient plus. Si le poste de secrétaire d’Attila avait ses dangers, il avait aussi ses profits ; en tout cas, il était fort envié, et Oreste dut rencontrer, en cette occasion, la concurrence d’une foule d’aventuriers qui ne le valaient pas.

Le roi des Huns avait pour système d’adjoindre, dans les missions de quelque intérêt, à des Huns nobles et revêtus de hauts emplois quelqu’un de ces serviteurs d’origine romaine qui, bien au fait des hommes et des choses du gouvernement romain, luttaient d’adresse avec les agens impériaux, et l’avantage d’un meilleur service politique n’était pas le seul qu’en retirait Attila. Comme ces deux classes, les Huns de naissance et les aventuriers devenus Huns, se jalousaient mortellement, il s’était établi entre elles, par suite de leur rivalité, un espionnage permanent dont le maître savait habilement profiter. C’était le cas entre Oreste et Édécon : celui-ci, brutal et hautain, regardant son collègue comme un valet, celui-là s’en vengeant, soit par l’étalage de son importance réelle, soit par la frayeur que son crédit inspirait. Ils apportaient à Constantinople de nouvelles propositions, ou, pour mieux dire, des réquisitions de leur roi qui dépassaient en insolence tout ce que la cour impériale avait eu jusqu’alors à dévorer. D’abord Attila, s’adjugeant sur la rive droite du Danube, comme sa conquête incontestable, le pays qu’il avait ravagé les années précédentes en Mésie et en Thrace (il fixait la largeur de cette zone à cinq journées de marche à partir du fleuve), demandait que la frontière des deux empires fût fixée amiablement à Naïsse, et qu’en conséquence les marchés mixtes qui se tenaient sur le Danube fussent reculés jusqu’à cette ville. Il exigeait ensuite qu’on ne lui envoyât en qualité d’ambassadeurs que les plus illustres d’entre les consulaires, et non plus, comme on se permettait de le faire, les premiers venus ; autrement, disait-il, il ne les recevrait pas ; que si, au contraire, l’empereur reconnaissait la convenance de sa réclamation, il irait au-devant d’eux jusqu’à Sardique. Enfin il renouvelait sa plainte éternelle sur les transfuges, déclarant que, si leur extradition tardait encore, ou si les sujets romains se permettaient de cultiver les terres situées au midi du Danube, dans la