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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

lations des ouvriers de Mulhouse avec leurs chefs, sauf, bien entendu, des exceptions heureusement rares, qui tiennent à des natures foncièrement perverties ou à de funestes conseils trop facilement écoutés. Si les déclamations contre l’ordre social ont quelquefois trouvé faveur parmi ces ouvriers si soumis à leurs chefs, cette contradiction s’explique aisément : la société est un être abstrait, dont le rôle est plus difficile à apprécier que celui d’une manufacture qui fait vivre ceux qu’elle emploie. Sous une surface calme une inquiétude assez profonde, telle était, au point de vue politique, jusqu’à ces derniers temps la situation des travailleurs mulhousiens. Si, dans les conversations particulières, ils laissaient échapper des paroles hostiles aux pouvoirs publics, ils n’étaient pas livrés pourtant à l’influence des agitateurs au point de suivre aveuglément leurs impulsions. On a pu en juger au mois de décembre dernier ; on essaya de les entraîner dans la rue pour faire ce qu’on appelait une démonstration pacifique ; mais ils s’y refusèrent positivement, déclarant qu’ils avaient du travail, et qu’ils ne voulaient pas le compromettre en jetant l’alarme dans la cité. Il y a bien loin de là au désordre pour le désordre même.

Quand on compare les ouvriers de l’industrie manufacturière de Mulhouse aux paysans des communes rurales du même district, combien les premiers paraissent supérieurs aux seconds ! Ce sont les habitans de la campagne qui avaient naguère brutalement accueilli l’idée du partage des biens, et qui considéraient cette opération comme un fait très prochain. Un riche propriétaire des environs de Mulhouse, qui a su féconder, au moyen de l’irrigation, des terres presque improductives, conseillait aux petits cultivateurs de suivre son exemple, et, pour les y déterminer, il leur fit offrir généreusement les fonds nécessaires remboursables à long terme. Les villageois répondirent crûment qu’ils n’avaient pas besoin de se donner tant de peine, puisqu’ils auraient bientôt leur part dans le patrimoine qu’on leur présentait comme un modèle. Il est triste d’être contraint d’ajouter que la commune où se tenait un pareil langage avait été comblée de bienfaits de toute nature par le propriétaire dont l’héritage envié défrayait d’avance une cupidité grossière. Jamais pensée analogue ne s’est produite dans le sein de la population industrielle de Mulhouse : on peut dire d’elle que ses instincts ont été troublés sans avoir été pervertis.

À Sainte-Marie-aux-Mines, le tableau change complètement : plus de cadre aussi large, plus de traits aussi accentués ; un régime industriel différent engendre d’autres conditions pour les existences individuelles. La petite ville de Sainte-Marie n’est pas placée sur une de ces grandes voies de communication que suit le mouvement du commerce et où les hommes sont appelés à des rapports fréquens les uns avec les autres ; elle est enfouie au milieu de la chaîne des Vosges, dans une vallée