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seils aux ouvriers sur les questions d’intérêt privé qu’ils peuvent avoir à débattre au dehors, afin de soustraire leur ignorance à la ruineuse exploitation de prétendus agens d’affaires. L’acte de société de la même manufacture affecte expressément une part des bénéfices à des œuvres de bienfaisance. Enfin une usine des environs de Mulhouse attribue une prime aux ouvriers sur les profits réalisés. Au lieu de se murer dans le domaine de l’industrie, la concurrence, on le voit, s’est activement déployée dans la sphère de la bienfaisance publique.

Les ouvriers de Mulhouse, auxquels s’appliquent des moyens d’assistance morale et matérielle si multipliés, ont-ils conscience des efforts dont ils sont l’objet ? Quels sentimens les animent, soit envers leurs chefs, soit envers la société ? On a répété à cette population, comme à toutes les populations laborieuses de la France, qu’elle était la proie d’avides spéculateurs : elle a dû naturellement ressentir les effets de ces prédications qui auraient voulu préparer la guerre du travail contre le capital. Il est un fait pourtant qui plaide ici en faveur des ouvriers : c’est que, sous le feu d’incessantes provocations, sans échapper à toute suggestion funeste, ils sont demeurés inaccessibles à ces animosités brutales qui se traduisent en actes de dévastation dans les établissemens industriels. L’histoire des dernières années est là pour le démontrer : en remontant au-delà de 1848, lors de la disette de 1847, on avait vu une catégorie d’ouvriers, les fileurs, auxquels les travailleurs des ateliers de construction refusèrent positivement de s’associer, envahir les boutiques des boulangers qu’ils accusaient de la cherté du pain ; mais les fabriques ne furent pas même menacées. En 1848, au milieu d’une effervescence grosse d’égaremens, aucun dégât matériel ne fut commis. N’est-ce pas là une preuve que les ouvriers sentent, au moins d’une manière vague, qu’une relation étroite unit leurs destinées à celles des fabricans et des capitalistes ? Tant qu’il ne s’agit que d’écouter des promesses dont ils sont incapables de découvrir le vide et le danger, ils peuvent bien prêter à la déclamation une oreille attentive ; mais, quand ils sont amenés sur le terrain de la vie pratique, leur bon sens naturel reprend le dessus, et ils comprennent alors que détruire les instrumens du travail, ce n’est pas le moyen d’améliorer leur propre condition. C’est grace à cet instinct, c’est grace à la conduite généreuse et prévoyante des chefs d’usine, que les rapports entre les différens intérêts engagés dans la production n’ont pas été troublés par la violence. Jamais les principes viciés que contient inévitablement une si grande agglomération d’élémens hétérogènes n’ont prévalu contre les sentimens vrais de la majorité.

La discipline des ateliers est à la fois sévère et bienveillante ; des intentions paternelles percent même à travers des répressions nécessaires. Une grande bienveillance d’un côté, une véritable déférence de l’autre, voilà, dans ses termes les plus généraux, la vérité sur les re-