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parée à d’autres cités françaises placées à peu près dans une situation analogue, était une de celles où, sur un chiffre donné d’enfans naturels, il y en avait le plus de reconnus.

Si on s’en rapporte à certains signes extérieurs, la classe laborieuse, dont la très grande masse appartient au culte catholique[1], a conservé un fonds de religion qui, sans avoir une grande influence sur les mœurs, en possède une véritable sur les idées. Hommes et femmes s’entassent le dimanche matin dans l’enceinte beaucoup trop étroite d’une église appropriée, vers le commencement de ce siècle, aux besoins d’un millier seulement de catholiques. Certes on peut reprocher des vices à la classe laborieuse de Mulhouse, certes il y a dans ses rangs, comme dans toute grande agglomération, des cœurs viciés, rebelles à tout enseignement moral ; mais la majorité n’est pas atteinte de cette perversité essentielle qui ravit tout espoir de régénération, et en une foule de circonstances on voit percer d’excellens instincts.

On ne pourrait citer aucune ville de France où l’on se soit plus occupé et depuis plus long-temps des divers besoins de la population ouvrière. L’esprit de recherche qui distingue Mulhouse dans l’industrie s’est aussi étendu à l’œuvre de la bienfaisance sociale. Les premiers noms de cette fabrique, ceux qui sont à la tête du progrès manufacturier, reparaissent ici ayant en main l’initiative de toutes les fondations utiles. Que les besoins aient dû s’accumuler en raison directe du rapide accroissement de la cité, c’est un fait évident. Grandissant ainsi au-delà de toutes les prévisions, Mulhouse pourrait être comparée à un enfant qui croît trop vite et à qui tous ses vêtemens vont mal. Quelles ressources possédait-on pour répondre à de subites et impérieuses exigences ? Aucune en dehors des produits éventuels de l’octroi. En 1798, lors de la réunion de la petite république à la France, les habitans, assemblés dans l’église par le magistrat, avaient décidé que le patrimoine commun, même celui de l’hospice, sauf une faible réserve, serait vendu à l’encan, et que le prix en serait partagé entre tous les citoyens ayant droit de bourgeoisie[2]. Si on n’avait eu pour consacrer au soulagement des classes ouvrières que les revenus publics d’une communauté où, sur quarante mille habitans, deux mille sept cent cinq seulement sont inscrits à la contribution personnelle et mobilière, il aurait été impossible de satisfaire à tous les besoins. Heureusement la générosité

  1. Sur ses 40 000 habitans, Mulhouse compte à peu près 25 000 catholiques, 12 000 protestans et 3 000 Juifs. Les usines ne renferment qu’un petit nombre de protestans et pas de Juifs, les premiers ayant en général une certaine aisance, et les autres ne pouvant guère, à cause du sabbat, s’accommoder aux exigences du travail manufacturier.
  2. Le fonds à partager fut d’à peu près 2 millions, et chaque part d’environ 250 livres. Exemple frappant d’un faux calcul économique ! la quotité reçue par chaque bourgeois dut être à peu près insensible pour lui, et la communauté fut privée d’immenses ressources dont la valeur aurait au moins quadruplé depuis 1798.