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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

matin, s’ils se disséminaient dans un rayon étendu. Les imprimeurs sur étoffes sont placés, du moins sur ce point, dans des conditions meilleures. Comme ils ne travaillent guère à la lumière, ils ne sont pas aussi pressés d’arriver à la fabrique durant l’hiver, où ces voyages sont le plus pénibles : aussi ont-ils, pour la plupart, leurs demeures dans les campagnes environnantes, et quelques-uns cultivent un lambeau de terrain ; mais, d’un autre côté, les intermittences du travail sont plus fréquentes dans l’impression que dans la filature, et l’oisiveté résultant du chômage enfante trop souvent de déplorables excès.

Que des causes particulières d’immoralité soient inhérentes à ces grandes agglomérations dans des bâtimens où les deux sexes sont confondus ou très rapprochés, c’est incontestable ; cependant la discipline intérieure les a notablement amoindries. Le tableau de la moralité mulhousienne est loin d’être aussi sombre qu’on se le figure généralement. Une circonstance très affligeante, je veux parler des nombreux exemples de concubinage, a porté quelquefois à le rembrunir ; ce désordre pourtant ne procède pas toujours de volontés corrompues ; il s’explique par les entraves que rencontre, dans quelques-uns des pays d’où Mulhouse tire ses ouvriers, la consécration légale des unions formées à l’étranger. Cela est si vrai, que le concubinage entre un ouvrier français et une femme de la même nation est un fait rare, ou qu’une union régulière vient bientôt terminer. Dans divers états d’Allemagne et en Suisse, le mariage n’est reconnu que si la femme justifie de l’acquisition du droit de bourgeoisie pour elle et pour ses futurs enfans au lieu du domicile de son mari. La dépense à faire, les formalités à remplir deviennent dès-lors, pour les ouvriers étrangers qui voudraient se marier, des obstacles presque insurmontables. Pour rendre possible l’achat du droit de bourgeoisie, on avait employé, il y a quelques années, un moyen qui avait produit de bons effets et qui paraît se recommander à la vigilante sollicitude de la municipalité actuelle. On obligeait les ouvriers placés dans certaines conditions à verser à la caisse d’épargne une faible somme proportionnelle à leur salaire et à se créer ainsi un petit capital. On comprendra qu’à Mulhouse les mesures prises contre le concubinage puissent avoir une rigidité particulière, car il s’agit d’étrangers qui ont besoin pour résider dans la ville d’un permis de séjour, et qui jettent dans la situation la plus affligeante des femmes françaises qu’ils ne peuvent épouser et des enfans qu’ils ne peuvent légitimer. Les enfans nés de ces unions figurent pour une très forte part dans le chiffre des naissances illégitimes constatées sur les registres de l’état civil de Mulhouse, où plus de la moitié des enfans naturels sont d’ailleurs reconnus par leurs pères. Des recherches statistiques, faites avec le plus grand soin et dues à M. le docteur Penot, professeur très distingué de chimie industrielle et habile observateur, ont établi, entre autres faits, que cette ville, com-