Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus précaire. Dans les provinces, tout souffrait. Bologne, après avoir repoussé un coup de main du général Welden, était tombée au pouvoir de bandes indisciplinées qui rendaient son état pire qu’il ne l’eût été sous la domination étrangère. Le commerce d’Ancône et de la Romagne était dans une détresse extrême : tout déclinait, tout s’enflammait, tout menaçait, tout périssait. C’est dans ces circonstances désespérées que, cédant aux instances du saint père et après en avoir obtenu pleins pouvoirs, M. Rossi, le 16 septembre, sous la présidence nominale du cardinal Soglia, ministre des relations extérieures, prit, avec le double portefeuille de l’intérieur et des finances, la direction des affaires.

M. Rossi faisait assurément en cela un grand acte de dévouement à son pays et à la personne du saint père. Sans parler des difficultés immenses et purement politiques de la tâche qu’il allait entreprendre, difficultés dont sa haute expérience avait mesuré toute l’étendue, rien n’était moins aisé à bien remplir que le rôle nouveau qu’il acceptait, et il le savait à merveille. Vingt fois il avait avec inquiétude et tristesse représenté à ses amis combien de calomnies et d’attaques il lui faudrait braver, quand il serait, lui, ancien proscrit, ancien ambassadeur du roi Louis-Philippe, ministre constitutionnel du saint père. Les défenseurs aveugles des abus et les agens non moins aveugles du désordre, dont il serait également l’inflexible adversaire, ne manqueraient pas de le dénoncer, les uns comme un révolutionnaire, les autres comme un rétrograde. Ajoutez son titre d’étranger, son mariage avec une protestante, le libéralisme notoire de ses opinions et de ses projets, toutes choses faites pour porter une grande inquiétude au sein d’une cour ecclésiastique jalouse à l’excès de ses privilèges, et ne voyant qu’avec haine et terreur poindre à l’horizon le triomphe d’un régime où tous ces privilèges étaient destinés à périr ; ajoutez enfin les menaces de mort proférées contre sa personne par les agens de la révolution et de la contre-révolution, menaces devenues si publiques et si habituelles, même aux hommes sans doute les moins capables de les mettre personnellement à exécution, qu’un jour, vers la fin de juillet, lorsque le bruit s’était répandu que M. Rossi allait succéder à M. Mamiani, M. Sterbini, membre de la chambre des députés, depuis l’un des héros de la triste république romaine, s’était emporté jusqu’à dire en présence de vingt de ses collègues, que, si l’ancien ambassadeur de Louis-Philippe osait paraître à la tribune du parlement romain en qualité de ministre du pape, il y serait lapidé.

Une sorte de fascination, de patriotisme et de dévouement entraînait M. Rossi à son destin, destin plus rempli encore après tout, — qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée, — de gloire que de larmes, car c’est une mort vraiment grande que celle qu’il devait trouver, à deux mois de là, sur le champ de bataille et sous la lâche fureur des factions.