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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

souvent même elles ne savent pas coudre. Cette ignorance exerce sur le sort de la famille une désastreuse influence : les enfans sont mal soignés ; la misère arrive sur les pas de la négligence ; le mari s’éloigne d’un logis où il ne trouve que le désordre, et c’est souvent là le point de départ d’excès qui achèvent de ruiner la vie domestique. Dans l’établissement de Guebwiller, on essaie autant qu’on peut de combler les lacunes signalées. D’abord on éloigne les femmes des travaux trop assujettissans ; puis on ajoute à leur instruction des connaissances adaptées à quelques-unes des nécessités du ménage. Ainsi une maîtresse spéciale tient cinq fois la semaine, dans la soirée, une classe de couture et de tricot ; en outre, la maîtresse d’école elle-même enseigne à ses élèves, deux fois par semaine, différens travaux d’aiguille. Développer partout un pareil germe, approprier à leur rôle futur dans la vie réelle l’éducation des filles d’ouvriers, c’est un des plus sûrs moyens de réagir contre les habitudes qui tendent à dissoudre la famille et à faire fléchir parmi les classes laborieuses le niveau de la moralité.

À Guebwiller même, malgré les améliorations obtenues, l’ébranlement des rapports de famille se révèle par l’habitude où sont les enfans de quitter de très bonne heure le toit paternel pour aller vivre dans des auberges ou des cabarets. Cette précoce indépendance, qui a parfois ici pour origine, il faut le reconnaître, une certaine dureté de la part des parens, devient ensuite une source féconde de démoralisation. Peut-être faut-il s’en prendre à ces faits, si le mariage est souvent précédé d’un concubinage plus ou moins prolongé. Les habitudes d’ivrognerie, que favorise le bas prix du vin, reçoivent aussi de la même cause une évidente impulsion. On trouve répandu à l’état de dicton populaire, surtout parmi les ouvriers des ateliers de construction, ce mot, qu’il n’y a pas d’homme rude à la besogne, s’il n’est pas rude à la bouteille. Toutefois, les anciens ivrognes du pays prétendent que, sous ce rapport, la population a dégénéré et qu’on ne boit plus comme de leur temps. Cette observation a d’ailleurs été confirmée par les renseignemens que nous avons recueillis, et qui constatent en effet que le vice de l’ivrognerie est un peu moins répandu qu’autrefois.

Dans leur vie ordinaire, les ouvriers de Guebwiller ont des habitudes très frugales. On leur doit cet éloge, qu’en fait de travail ils ont plutôt besoin d’être contenus qu’excités. Qu’on les regarde à l’enclume, à la lime ou au métier, les cœurs y sont comme les bras. La classe laborieuse, qui appartient en très grande majorité à la religion catholique, fréquente régulièrement l’église le dimanche pendant quelques heures : l’été, elle sort ensuite de la ville et parcourt les beaux sites des montagnes environnantes ; mais, durant les hivers longs et froids de cette contrée, elle n’a que le cabaret pour moyen de distraction. Si quelques ouvriers lisent un peu ce jour-là, c’est le petit nombre. Les