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à intervenir dans un plus grand nombre de circonstances de la vie, les prêtres catholiques exercent sur les esprits une influence qui n’appartient pas au même degré aux ministres protestans. Les ouvriers assistent assez généralement aux instructions religieuses. On reconnaît du reste chez eux, en une certaine mesure, le désir de s’éclairer et de développer leur intelligence. Ainsi ils aiment à lire ; malheureusement ils manquent de livres appropriés à leurs besoins et à leurs facultés. Ils achètent des almanachs allemands publiés à Colmar, assez volumineux et assez mal rédigés, mais très connus dans les campagnes ; puis ils louent dans les cabinets de lecture quelques mauvais romans qui, au lieu de donner à l’esprit une nourriture saine, ne peuvent qu’égarer les imaginations. Les ouvriers ne lisent aucune brochure politique ; mais ils avaient entre les mains, jusqu’à ces derniers temps où les événemens l’ont emportée, une feuille très radicale de Colmar qu’ils mettaient un véritable et aveugle amour-propre à recevoir, s’imaginant faire acte d’indépendance en ayant ainsi leur propre journal et s’appartenir davantage à eux-mêmes. Au fond, les doctrines de cette feuille ne s’étaient pas emparées des esprits, mais elles semaient un mécontentement vague qui ne recélait en lui-même que des déceptions. Heureusement l’envie ne rencontrait pas dans le clan de Munster des cœurs dépravés pour l’accueillir aveuglément comme une règle de conduite. Un large et bienveillant patronage activement exercé a servi d’égide contre l’envahissement des passions extérieures ; mais ce patronage, et c’est là le trait le plus distinctif du système adopté dans cette usine, procède immédiatement des patrons seuls. Bien que les ouvriers nomment quelques délégués dans le conseil d’administration de la caisse de secours, ils sont étrangers, on peut le dire, au mouvement des institutions qui les concernent.

Ce régime contraste absolument avec l’organisation de la colonie industrielle de Guebwiller, qui réunit d’ailleurs en une plus large mesure les traits originaux du clan. L’usine comprend dans un même local une filature de coton armée de cinquante-quatre mille broches, une petite filature de lin, et un atelier pour la construction d’appareils mécaniques. Deux mille ouvriers peuplent ce bel établissement situé sur la lisière même de la plaine du Rhin, au pied des Vosges, à l’entrée d’une vallée rétrécie d’où les vignes s’élancent en amphithéâtre presque jusqu’au sommet des montagnes[1]. Les liens qui attachent les ouvriers à la manufacture sont ici comme à Munster solides et durables. Tous les travailleurs de la filature appartiennent au pays, d’où le plus

  1. Les coteaux exposés au midi qui touchent à la fabrique produisent un vin extrêmement capiteux, fort connu en Alsace sous le nom de ketterlen de Guebwiller.