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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

drions essayer emprunte d’ailleurs à la situation même de l’Alsace, placée entre l’Allemagne et la France, un singulier intérêt. Éminemment française par les sentimens, l’Alsace, qui reçoit à travers la vallée du Rhin et les gorges de la Forêt-Noire le souffle de l’esprit allemand, possède un génie profondément original. Partout éclatent dans cette région le contraste et l’antithèse : deux cultes, deux caractères et deux langues. C’est au milieu de ces élémens hybrides que les institutions industrielles ont dû s’appliquer sans cesse à grouper les forces éparses, et qu’elles ont souvent réussi à les concentrer en de gigantesques unités.

Une première vue du pays nous fera comprendre dans quelles limites les théories radicales ont pu, de 1848 à 1852, exercer quelque empire sur les ouvriers alsaciens. Observée dans son ensemble, puis dans ses diversités locales, la vie industrielle de l’Alsace nous révélera tout à la fois les côtés faibles par lesquels le trouble avait chance d’y pénétrer et les nombreux élémens de conservation qui pouvaient lui faire obstacle. Il a été dans la destinée de l’industrie alsacienne de se développer en dépit de mille entraves, et c’est à cette lutte contre des difficultés toujours renaissantes qu’elle doit peut-être son esprit d’indépendance et d’entreprise, sa constitution originale et vigoureuse. C’est dans le génie même des populations, ce n’est pas dans les ressources du pays qu’il faut chercher les causes du remarquable développement de ses manufactures. Rien ne semblait convier à un grand rôle industriel cette longue lisière de terrain qui s’étend de Huningue à Lauterbourg entre les pays allemands et la chaîne des Vosges, où elle projette çà et là tant de vallées sinueuses et pittoresques. Placée aux extrémités de la France, loin de nos grands marchés intérieurs, l’Alsace trouve à ses portes le rempart des douanes étrangères. Les places où elle s’approvisionne de ses matières premières principales, le Havre ou Marseille, sont situées a dés distances considérables, et l’organisation des moyens de transport, encore très défectueuse, a été long-temps dans le plus déplorable état. Une voie fluviale magnifique longe, il est vrai, cette province en la séparant de l’Allemagne ; mais le Rhin a presque toujours subi des dominations diverses qui en ont gêné l’usage. Dans l’intérieur des terres, des montagnes escarpées ou couvertes de forêts entravent les communications, même entre des localités très voisines les unes des autres. Si l’industrie alsacienne a pourtant grandi et prospéré, c’est que la Providence avait, nous le répétons, doté ce pays d’un génie propre qui recélait en lui-même les moyens de surmonter tous les obstacles : l’âpreté dans le travail et l’esprit de recherche. Grâce à ces tendances de son caractère dont Mulhouse est l’éclatante expression, l’Alsace a pu suppléer à ce qui lui manquait et tirer un merveilleux parti de toutes les circonstances qui pouvaient aider ses progrès dans l’arène